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Prédication : Quand servir Dieu, c'est servir son prochain

                Dans ce chapitre du Livre des Actes,  les apôtres gèrent la croissance. Il ne s’agit pas de se disperser et de perdre de vue ce qui fait le cœur même de leur vocation : présider à la prière et assurer le service de la Parole. C’est un peu étrange de lire que la prière ne concerne pas tous les disciples des premières communautés chrétiennes. Cela veut-il dire que les autres disciples, ceux qui ne sont pas apôtres ne prient pas ? Sans doute non, mais il y a une distinction à faire entre la prière personnelle que les premiers chrétiens devaient sans doute pratiquer assez spontanément, et l’enseignement de la prière qui était nécessaire pour des novices du christianisme qui étaient encore pétris de cultes sacrés aux dieux et aux déesses des religions polythéistes. Autre surprise en lisant ce texte : les apôtres ne s’occupent pas des tâches ménagères et pratiques, comme organiser et servir dans les repas offerts aux déshérités ? On pourrait y voir un esprit hiérarchique, voire un cléricalisme.
                Et c’est tout le problème de savoir quelle est la vocation de chacun et quelle est la vocation des églises. Notre tradition protestante n’en finit pas d’osciller entre le multiservice indifférencié et la sectorisation du service de la Parole.
                Du « pasteur enseignant » au « tous théologiens », du diaconat d’église au service social laïc, du sacerdoce universel à la spécialisation des tâches, les églises peinent aujourd’hui comme au temps des apôtres à trouver l’équilibre qui permettra à chacun de servir une parole de salut et de la partager.
                Que dans la foi nous soyons toutes et tous appelés à réfléchir en théologie pour être responsable de notre propre annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, personne ne le contestera dans la Réforme. De même, que chaque enfant de Dieu ait la même légitimité à annoncer sa grâce, personne ne le remettra en doute. Mais ces principes d’égalité devant Dieu et dans la foi ne règlent rien dans la pratique du christianisme en actes ; nous le voyons bien dans le livre du même nom. Si tout est possible, dans l’absolu, dans la pratique, tout n’est pas souhaitable.
                Le Livre des Actes essuie les plâtres d’une église qui commence autour d’une table à manger et qui n’a comme vocation que celle de faire mémoire de l’enseignement d’un maître de sagesse dans la mort duquel s’ouvre une éternité. C’est d’ailleurs pourquoi tous les problèmes des églises se focalisent depuis des siècles sur ce lieu hautement symbolique qu’est la table.
Lieu de socialisation par excellence, le repas, la « messa »,  est le lieu où l’on accueille et où l’on partage. Le repas pose donc des problèmes multiples : qui peut manger à la même table ? Que manger ou ne pas manger ? À quel titre est-on invité ou non à la table commune ? Aujourd’hui encore, la cène n’est-elle pas le lieu du sacrement qui divise ? L’excommunication n’est-elle pas l’exclusion la plus radicale et, à mon avis, la plus contraire à l’Évangile de Jésus ? Comment refuser une place à quiconque au repas du Seigneur ? Le repas n’est-il pas le dernier lieu où devrait se diviser une communauté rassemblée au nom du Christ ? Et pourtant c’est celui où tous les désaccords éclatent. Regardez les repas de famille et le nombre de récits épiques qui racontent les agapes se terminant en pugilat. Dans le texte des Actes, il est question des tables des veuves grecques qui seraient moins bien servies que celles des Hébreux. Y aurait-il, dans le temps mythique des premiers chrétiens, des convives plus dignes que d’autres d’avoir part au repas du Seigneur ?
                Mais, me direz-vous, le repas dont on parle ici est le repas des veuves et donc l’équivalent d’un repas d’entraide offert en marge du repas rituel de la communauté. L’affaire n’est pas si claire. Nous avons, dans nos églises chrétiennes, fait du repas du Seigneur un sacrement et une nourriture hautement symbolique et spirituelle. Mais si nous regardons du côté du judaïsme, nous pouvons voir que le repas peut être rituel et religieux tout en étant un repas familial. C’est le modèle des fêtes comme Pessah ou, plus communément, celui du sabbat qui nous montre comment le lieu, comme la table du repas partagé, permet de faire mémoire tout en se restaurant. Le religieux est alors dans le profane et il n’est nul besoin d’ajouter telle ou telle consécration, tel ou tel prêtre ordonné pour se souvenir de la sortie d’Égypte, par exemple, et partager un repas ensemble en mémoire de cet événement fondateur. Il faut juste quelqu’un qui soit capable de se remémorer ces récits ou de les lire, pour que le repas soit le lieu dans lequel Dieu est présent.
               Dans la Didake, texte très ancien et proche des premières communautés chrétiennes de Syrie occidentale installées sur les lieux d’une diaspora juive datant du IVe siècle avant Jésus Christ, la question du repas eucharistique est abordée et deux prières sont proposées pour : « rompre le pain et rendre grâce ». Sur le repas, il est seulement dit qu’il a lieu le jour dominical du Seigneur » et que, pour partager ce pain et ce vin au nom de Jésus, il faut d’abord avoir réglé ses désaccords avec les autres. Et, pour ces communautés naissantes, le baptême est le signe d’entrée dans la communauté et la marque incontournable pour en faire partie. Quand on connaît les persécutions dont furent victimes les chrétiens, on comprend qu’un acte comme le baptême constituait un engagement qui permettait de compter sur la loyauté de chacun à l’égard du groupe.
                Aujourd’hui, où nos chemins de foi sont libres, au moins dans notre pays, le baptême n’est plus la condition incontournable pour venir partager le repas communautaire.
                Si dans la discipline de la Didake, l’eucharistie est déjà un repas rituel dont on ne sait pas grand-chose, dans le livre des Actes, le repas dont il est question dans le chapitre 6 est d’abord destiné aux veuves. Celles qui socialement sont en difficulté du fait même qu’elles n’ont personne pour subvenir à leurs besoins. L’intérêt de cette page réside dans ces deux communautés dont une semble se sentir lésée. En fait, la communauté d’Étienne à Jérusalem se retrouve avec des apôtres qui parlent sans doute araméen, même s’ils comprennent assez de grec pour communiquer avec les Juifs de la diaspora qui, eux, sont hellénisés. Il y a donc un groupe de fidèles qui sont hébreux et un groupe qui parle grec. La langue, ici, n’est pas seulement ce qui permet de communiquer ou non, elle est aussi ce qui marque des traditions différentes et une origine géographique différente. Enrico Norelli, dans son livre "La naissance du christianisme", montre qu’un groupe de Juifs hellénisés avait dû s’adjoindre au groupe d’Étienne à Jérusalem et que, très tôt, deux groupes linguistiques formaient cette communauté chrétienne, ce qui nécessitait de célébrer séparément, pour des raisons de langue, le repas rituel  où l’on rompait le pain et où l’on rendait grâce pour la coupe.
                Quant aux sept hommes choisis pour s’occuper des veuves, il ne s’agit pas à proprement parler de diacres, comme notre église l’a retenu traditionnellement, ayant pour rôle de servir aux tables des veuves eux-mêmes. En effet, les sept ont des noms grecs et font partie de ces Juifs hellénisés qui ont très vite la réputation d’être des prédicateurs charismatiques, comme l’est Étienne lui-même dont il est question tout de suite après cet épisode. En fait, les sept hommes sont une sorte de comité directeur de la partie helléniste de la communauté. Certains sont représentatifs de cette particularité : Ils choisirent Étienne, homme plein de foi et d'Esprit saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d’Antioche. Originaires d’Antioche et d’une tradition se réclamant peut-être plus de l’Esprit Saint, ces nouveaux convertis grecs paieront le prix fort des persécutions juives et romaines et le groupe dont parle ce passage fuira Jérusalem après la persécution d’Etienne pour aller évangéliser un peu partout. Philippe se retrouvera ainsi à évangéliser un eunuque éthiopien sur la route.
                Que ce soit Étienne ou Philippe, on voit bien qu’il ne s’agit pas d’un groupe d’hommes qui prépare les repas pour les veuves. Ils sont plutôt apôtres des Grecs, de cette communauté particulière qui s’est convertie dans les réunions juives de diaspora et qui est venue rejoindre les apôtres, peut-être pour fuir de premières persécutions.
                Alors, n’y avait-il pas de diacres dans la première église ? La Didake parle explicitement des diacres des communautés rurale de Syrie occidentale en ces termes : « Élisez-vous donc des évêques et des diacres dignes du Seigneur, des hommes doux, désintéressés, sincères et éprouvés ; car ils remplissent eux aussi près de vous l’office des prophètes et des docteurs. Ne les méprisez donc pas, car ils sont parmi vous ceux qui sont honorés au même titre que les prophètes et les docteurs. » 
                On voit ici que les diacres font office de prophètes et de docteurs là où ils se mettent au service de la communauté pour annoncer la parole de Jésus. On voit aussi que ce sont les communautés locales qui se donnent des évêques et que la hiérarchie n’est pas du tout celle des églises actuelles. L’idée est donc de servir Dieu en Jésus en mettant ses compétences au service des besoins de la communauté. Mais on constate aussi que le diaconat, est avant tout une annonce de la parole de Dieu en actes. Étienne va prêcher, comme Philippe, et comme les autres du groupe des sept. Et si c’est autour du repas des veuves de langue grecque, c’est que les apôtres ne peuvent pas le faire eux-mêmes et qu’il faut élargir le cercle des prédicateurs.
                Cet épisode nous montre que l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus le Christ, est d’abord une manière de vivre. La communauté des chrétiens et toutes ces communautés dispersées autour de la Méditerranée mettaient en place des fonctionnements qui inventaient, par leur recherche d’équité, d’hospitalité et d’entraide, une société utopique. La communauté était le modèle réduit du Royaume que Jésus avait annoncé à l’intérieur de chacun. Ainsi, la question des secteurs d’activité ne se posait pas pour les communautés comme elle se pose aujourd’hui pour nous où nos églises sont devenues des associations cultuelles avec, parfois des associations annexes régies par la loi de 1901, notamment les associations d’entraide. Dans le récit des Actes des Apôtres, la communauté devient le lieu d’expérimentation d’un monde juste. Elle commence par elle-même. On pourrait objecter qu’elle est centrée sur elle-même et identitaire, mais l’épisode que nous avons lu nous montre que non. En effet, en ayant une vocation à vivre l’entraide à l’intérieur de la communauté et de façon adaptée à la réalité du lieu, la communauté est accueillante et sa porte n’est pas fermée. La preuve en est avec cette communauté grecque qui s’est intégrée, au moins pour un temps et à qui on a donné des représentants pour qu’elle soit justement traitée.
               Sans doute posons-nous trop souvent la question du rôle de l’Église en commençant par les conséquences de sa prédication, là où nous devrions penser d’abord à sa prédication vécue et à sa sincérité interne, avant de vouloir sauver le monde. À l’heure où notre Église Protestante Unie de France cherche par tous les moyens, même les plus hétérogènes, à faire de nouveaux adeptes par une mission vers le monde qui nous entoure, le texte des Actes des Apôtres nous enjoint à commencer par faire de nos communautés des lieux où la Parole de Dieu est réellement mise en pratique, ce qui est déjà un défi. Alors, son rayonnement sera tel qu’elle apportera le salut de Dieu à celles et ceux qui en ont besoin dans le monde.
                Notre intérieur est notre extérieur, ce que nous avons dans le cœur et comment nous le vivons entre nous et en nous est notre première proclamation de l’Évangile ; ce n’est donc pas à notre proclamation missionnaire que tous sauront que nous sommes chrétiens, mais à notre véritable façon de vivre notre foi.                   AMEN

 

Musique : Orgue

Psaume : Psautier Français n°107 « Louez Dieu pour sa grâce », strophes 1 à 4  [cliquer ici]

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