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Chers amis, chers frères et sœurs,

Il y a trois semaines, nous débutions notre entrée dans le temps de la Passion par le texte de la tentation de Jésus au désert. Jouant sur les mots entre quarantaine de Jésus et mise en quarantaine de certains pays du monde, surtout la Chine, nous rentrions nous aussi, en quarantaine, spirituellement du moins.

Nous étions loin de nous imaginer que nous y serions pour de vrai, à notre tour, en ce quatrième dimanche de Carême. Depuis lundi dernier, notre quotidien a basculé, en moins de temps qu’il a fallu pour le dire. Nous n’avons pas vraiment eu le temps d’anticiper. Peut-être pensions-nous échapper de façon providentielle à cette période de confinement imposé...

D’une certaine façon, nous ne voulions pas voir la réalité en face. Pourtant, depuis quelques semaines, certaines personnes, plus fragiles, ou sortant d’une opération, s’étaient décommandées de nos réunions ou de la célébration des cultes, faisant ainsi appel à leur vertu personnelle de prudence, et devenant pour nous des lanceurs d’alerte. Bien sûr, nous étions inquiets des mauvaises nouvelles des autres pays, mais c’était encore trop loin. Aujourd’hui, il faut nous résoudre à admettre que tout le monde est touché par cette épidémie. Cette fois-ci, le malheur ne passe pas à coté, comme si nous étions invincibles.

Notre pays est totalement à l’arrêt, pour une durée indéterminée. La situation est très grave, le nombre de malades augmente de jour en jour, ainsi que le nombre de morts. Le seul moyen de résister et de contrôler l’épidémie, c’est le confinement, qui permet de limiter la propagation du virus « Covid-19 ».

En obéissant à cet ordre du gouvernement, en respectant les distances entre nous, ainsi que les règles sanitaires, en limitant nos sorties au strict nécessaire, nous aimons notre prochain et nous allégeons la charge des soignants, à tous les niveaux que ce soit. Il nous faut redoubler de vigilance. L’ennemi est invisible mais virulent et nous en sommes tous les porteurs involontaires. Le pic de l’épidémie est attendu dans les prochaines heures. Nous faisons l’expérience d’une maladie qui n’a pas de remède et qui s’étend aux dimensions du monde.

Alors, à qui la faute ? Qui est responsable de cette pandémie ? Lorsque l’impensable se produit, la question se pose toujours. Parce qu’il faut un responsable, voire un coupable, pour ne pas dire un bouc émissaire, afin que le malheur que l’on subit soit moins lourd à supporter, et parce qu’il faut une explication, une justification, même au prix d’un mauvais raisonnement, même au prix d’une erreur de jugement, même au prix d’un aveuglement. Notre question, « à qui la faute », rejoint exactement la question que les disciples posent à Jésus, d’entrée de jeu, dans le passage de l’Evangile de Jean que nous venons d’entendre : « Rabbi ? Qui a péché ? Lui ou ses parents » ?

Il faut se rappeler que, dans le contexte de notre récit, la maladie ou l’infirmité étaient considérées comme une punition divine. D’où la question des disciples. Il faut imaginer la culpabilité immense dans laquelle les infirmes et les malades étaient plongés, ainsi que leur famille. Il faut imaginer la chape de plomb que la religion de l’époque faisait porter sur les épaules de ces personnes.

Cela ne facilitait pas vraiment la relation à Dieu, qui serait le Dieu de la rétribution, en ce sens que, si nous agissons bien, il nous récompense, si nous sommes en bonne santé, il nous bénit, mais si nous agissons mal et si nous sommes malades, il nous punit. Encore aujourd’hui, certaines dénominations religieuses, chrétiennes ou non chrétiennes, ont du mal à se libérer de cette conception de Dieu que l’on imagine sans peine assis sur un nuage et portant une barbe. On ne s’en sortira donc jamais ?

« Souvenons-nous », comme l’écrit le philosophe Olivier Abel, dans son article « Qu’est ce qui nous arrive », paru dans l’hebdomadaire Réforme de cette semaine : « Souvenons-nous que le malheur n’est la punition de rien, qu’il est juste absurde et bête à pleurer ». Il continue ainsi : « Mais aussi, combien nous sommes tout bêtes face à cela, à la fois impuissants face au mal, et entièrement responsables de ce que nous en faisons ».

La question posée à Jésus par ses disciples, a du plonger l’aveugle qui écoutait, dans une culpabilité plus grande encore.
Et Jésus répond : Personne n’a péché, cela n’a rien à voir avec une faute commise antérieurement, il est aveugle pour que, par lui, on voit la gloire de Dieu. Et là, je me demande ce que l’aveugle a du comprendre…

Car les paroles de Jésus sont à l’opposé de tous les lieux communs que nous connaissons, encore aujourd’hui. Par cette réponse, d’une part, Jésus libère l’homme aveugle de tout ce qui rendait sa foi obscure, et d’autre part, Jésus libère Dieu « de tout ce qui nous le rend étranger, absurde ou impossible » (cf Raphaël Picon, un Dieu insoumis, p.41).

La bonne question que je vous propose de retenir pour aujourd’hui est celle-ci : « Qu’est ce que je fais de ce qui m’arrive » ? Et quand cette question touche le monde entier, il y a de quoi réfléchir. Depuis longtemps, chacun avait le sentiment que tout allait trop vite et que nous étions en train de foncer dans le mur. Nous le heurtons de plein fouet, ce mur, et le temps du confinement est là pour nous aider à prendre le recul obligé, puisque que nous sommes stoppés, qu’on le veuille ou non, dans la cavalcade, la frénésie du toujours plus, au détriment et au mépris des plus petits.

Mais Jésus est formel dans sa réponse : le malheur qui s’est abattu sur l’homme aveugle de naissance n’est pas une punition de Dieu. Nous pouvons faire la transposition, en disant : le malheur qui s’abat sur nous, par cette épidémie, en ce moment, n’est pas une punition de Dieu.

Par contre, cette épidémie nous oblige à regarder les choses en face et sortir de nos différentes cécités. Elle révèle le dysfonctionnement de toutes nos formes de société et de tous les systèmes politiques, à travers le monde. Elle fait prendre conscience de façon radicale, de l’importance de tous les appels, si mal reçus, et pourtant relayés de différentes façons et à tous les niveaux, par tous les prophètes de notre temps, ceux que nous appelons les lanceurs d’alerte à commencer par la terre elle-même en souffrance. Alors posons-nous aussi cette question : qu’est ce qui, en nous, a besoin d’être guéri ?

Nous avançons dans ce temps de la Passion, unis les uns aux autres, par la souffrance humaine qui nous entoure, qui nous atteint, par nos plus proches, atteints eux aussi par ce virus impitoyable, qui se fiche éperdument de savoir si on est croyant ou athée, qui se moque de notre sexualité ou notre couleur de peau, qui ignore si nous sommes riches ou pauvres, seul ou chargé de famille. Il nous oblige à regarder le réel en face, à sortir de nos aveuglements, à défaut de chez soi, à nous retrouver les uns les autres, en vérité sur l’essentiel. A entendre le chant des oiseaux en plein cœur de la ville, au repos forcé, certes, mais au repos tout de même.

Tout cela est d’une violence inouïe.

Mais, dans le récit évangélique de ce matin, un autre s’est avancé sur le chemin de l’homme aveugle. Jésus venait à sa rencontre. En guérissant cet homme, Jésus l’a remis debout, entièrement et lui a permis de faire face au réel de sa propre existence. De même, il avance avec nous, sur nos propres chemins. Il accompagne notre humanité fragile, par sa Parole, il nous tient debout, et c’est peut-être ainsi qu’il tisse entre nous et de façon universelle, tous les liens du cœur, cette fraternité invisible et sans frontières, alors que nous sommes aujourd’hui, obligés de nous tenir à distance les uns des autres.

N’allons pas trop vite. Prenons le temps de réfléchir ensemble, comment sortir de nos croyances, qui nous immobilisent, prenons le temps, nous y sommes obligés, d’inventer l’avenir, mais pas les uns sans les autres, sinon, ça ne marchera pas. C’est Jésus qui tire la conclusion : il est venu pour donner la lumière et révéler à chacun que la véritable cécité n’est pas celle de cet homme aveugle, mais de prétendre que l’on sait. « C’est pour un discernement que je suis venu dans le monde : pour que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ». (Jean 9/39)

Une façon de brouiller les pistes, afin que chacun /chacune puisse se découvrir, nouveau. Et tout recommencer, à Sa lumière, pourquoi pas, en regardant le monde, notre monde en face.

Amen

 

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