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Prédication : Tout est à vous !

Le choix de ce texte de la première lettre de Paul aux Corinthiens a deux racines. L’une dans le culte de dimanche dernier au Foyer de l’âme (dont je vous porte les fraternelles salutations) où avec les jeunes du catéchisme nous avons reconnu les éléments caractéristiques d’un temple protestant aujourd’hui. L’un des textes sur lesquels portait la méditation était les versets 15 et 16 de ce chapitre 3 et c’est sur le verset 16 que nous avons commencé aujourd’hui la lecture. Une question destinée à provoquer une prise de conscience chez les chrétiens et chrétiennes de Corinthe, de tous lieux et de tous temps.

L’autre racine, c’est ce sentiment de lassitude voire de désolation qui saisit beaucoup de nos contemporains à entendre jour après jour des nouvelles de guerre, de menaces de guerre, de conflits, d’affrontements, bloc contre bloc, parti contre parti, faction contre faction, groupe contre groupe, ici et au loin, comme une extrême fragmentation du monde face à laquelle beaucoup se sentent impuissants, démunis.

Dans la première lettre aux Corinthiens, l’apôtre Paul répond à une situation de crises multiples à l’intérieur de l’Église de Corinthe.
Les conflits portent sur le couple, sur les viandes sacrifiées aux idoles, consommables ou pas, sur les manifestations spirituelles (les dons de l’Esprit), également sur la place des femmes. Et aussi sur la communion au travers de la forme du repas du Seigneur à Corinthe, les uns ayant déjà trop bu quand les autres arrivent à peine.
Mais la première source de conflit dont Paul se saisit, c’est l’existence de plusieurs partis à l’intérieur de la communauté. Il y a celles et ceux qui se réclament d’Apollos, celles et ceux qui en tiennent pour Céphas c’est-à-dire Pierre, celles et ceux qui se réfèrent à Paul lui-même, et d’autres encore à Christ, écrit l’apôtre. Quand même ! pourrait-on dire, sans savoir avec certitude si ce parti du Christ est véritablement constitué à Corinthe ou si Paul l’introduit par provocation. Pourquoi pas un « parti du Christ », ou même un « parti de Dieu » qui pourrait revendiquer plus de proximité avec la source de la foi, une forme de pureté propre à discréditer les autres partis…

Paul comprend que ce conflit est le signe que les Corinthiens ont repris les manières du monde, c’est-à-dire, pour l’apôtre, le monde sans Christ, le monde qui ne reconnaît pas le Christ et fonctionne à coup de pressions, de rapports de force, de luttes d’influence. Les vieilles habitudes, les automatismes reviennent rapidement et même inconsciemment sous la poussée de l’esprit de parti ou de clan où chacun s’oppose aux autres et ce n’est pas tant pour exercer le pouvoir que pour se justifier. Cette justification ne s’appuie pas sur le Christ mais sur un témoin du Christ. Certains affirment : Je suis de Paul, et d’autres : Je suis d’Apollos. La revendication identitaire se fonde sur les catégories du monde : figures de référence, ou encore, plus largement, origine ethnique, culture, religion, statut social, idéologie… Elle relève de la sagesse humaine qui se réfère à un savoir, des croyances, des convictions, des compétences, une conformité. Ainsi cette justification d’être ne s’enracine pas dans la grâce de Dieu mais dans des qualités d’humain et, pour Paul, cela est l’anti-Évangile, le contraire, la négation de la Bonne Nouvelle. C’est ce contre quoi il s’élève dans cette épître, et aussi dans la lettre aux Galates avec beaucoup plus de virulence.
Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? L’éminente dignité de l’Église à Corinthe n’est pas un but à atteindre mais la réalité dont il s’agit de rendre compte. Elle n’est pas non plus réservée à l’Église de Corinthe. Rendez-vous compte de qui vous êtes, soyez-en conscients car c’est la Bonne Nouvelle, une expression de l’Évangile : vous êtes le temple de Dieu, et l'Esprit de Dieu habite en vous. Le Dieu de Jésus-Christ n’a besoin ni de constructions, ni de sacrifices, il se tient dans la fragilité humaine ; il y rejoint le plus humble et le plus méprisé. Et nous pouvons aussi bien entendre cette Bonne Nouvelle de manière personnelle que de manière communautaire, le singulier de chaque personne est relié aux singuliers des autres ; la communion accueille chacun et chacune.
Rendez-vous compte de ce que vous êtes, soyez donc ce que vous êtes, et surtout sans esprit de supériorité par rapport à qui que ce soit, même par rapport au monde, mais dans un esprit de témoignage et de service, un esprit d’amour. C’est dans cette même épître que Paul écrit que, de la foi, l’espérance et l’amour, c’est l’amour le plus grand (1 Corinthiens 13:13). Il ne s’agit pas bien sûr de ne pas tenir compte des différentes manières de croire et de vivre dans la foi, ni d’écarter la diversité des théologies, mais de redonner une juste place à Dieu et à ce que l’on dit de lui dans l’Église, une juste place à partir de laquelle les relations dans l’Église seront tissées d’amour et de service.

Le rappel de la Bonne Nouvelle : vous êtes le temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en vous, est prolongé par une autre affirmation, celle qui termine notre péricope ce matin : Tout est à vous, et vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu.
C’est là un procédé dont Paul use à plusieurs reprises dans l’épître, au sujet de plusieurs conflits. Ainsi il écrit au chapitre 11 : la tête de tout homme, c’est le Christ, la tête de la femme, c’est l’homme et la tête du Christ, c’est Dieu. Si la formule peut faire grimacer au XXI° siècle, elle est propre à rendre conscient l’humain de son origine, en Christ et en Dieu, ce qui requalifie les relations dans un couple selon la dimension de la grâce reçue de Dieu en Christ.
D’une manière proche, Paul écrit également au sujet de la consommation de la viande des sacrifices : Tout est permis, et tout n’est pas utile (1 Corinthiens 10:23), car la liberté ne saurait faire fi du souci des plus faibles. L’essentiel pour la vie quotidienne des croyants, c’est toujours la manière d’être en relation avec les autres, croyants ou pas.
Tout est à vous et vous êtes à Christ et Christ est à Dieu. Comme tout est permis ou encore dans l’épître aux Corinthiens mais en creux : non plus tout mais rien : si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien (1 Corinthiens 13:2).
La radicalité, l’ampleur du Tout est suspendu à la grâce, dans la foi. L’espace dégagé par le Tout ne l’est que par grâce, sinon ce Tout devient dévorant, dévorant de l’autre et dévorant de celui qui ne l’accroche pas à la grâce offerte à tous et toutes. Nous savons, nous voyons à quel point ce Tout quand il n’est que tout humain est mortifère. Tout est à vous : les uns, les autres, la vie, la mort, le présent, l’avenir… Il en est qui croient effectivement que tout est à eux, mais cela conduit à la destruction. En Ukraine, en Russie, en Israël, en Palestine, au Liban et ici même avec d’autres manières moins guerrières mais non moins dévastatrices. Un « Tout est à vous » fondé sur soi, sur une identité ou des qualités mondaines génère le chaos.
Tout est à vous, tout est à nous : c’est bien tentant puisque l’humain est capable de déployer volonté, intelligence, patience dans des projets multiples jusqu’à s’y croire, jusqu’à s’en croire, se glorifier, et profiter, abuser des hommes, des femmes surtout, des enfants aussi, et des richesses de la nature, de l’abondance de la terre sans que rien ne vienne réguler ses appétits s’il reste sans conscience éveillée, sans âme vivifiée, sans relation avec l’insaisissable altérité de la transcendance.

Paul dévoile la vanité de l’attitude partisane et de la revendication identitaire fondé sur les catégories mondaines. Il en désigne la folie et plus que la folie, la bêtise. Bien plus tard Martin Luther King dira qu’il nous faut apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous mourrons ensemble comme des imbéciles.
Tout est à vous et vous êtes à Christ et Christ est à Dieu. Il n’y a pas de parti du Christ qui, au nom d’une singularité exclusive et contraignante, s’opposerait et lutterait contre d’autres qui n’en seraient pas ou autrement, ou qui serait indifférent à celles et ceux qui sont différents.
La grâce donnée et reçue reconfigure l’existence humaine dans ses relations à elle-même, aux autres et à Dieu, non pas en fonction d’un dogme mais selon le don.

Mais alors comment comprendre Tout est à vous ? Il ne s’agit certes pas d’une propriété, d’une domination, d’une maîtrise au sens d’un avoir qui nous appartient. Ce n’est pas une mise à disposition pour en faire ce que nous voulons. Mais le Tout est l’espace de notre liberté à vivre de grâce, l’espace de notre liberté à vivre librement.
A vous, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas ? Ils sont au service, un service que Paul qualifie parfois d’esclavage, ainsi qu’il l’écrit toujours aux Corinthiens au chapitre 9 : Bien que je sois libre à l’égard de tous, je me suis rendu esclave de tous (1 Corinthiens 9:19), ce que Martin Luther a fort justement inscrit premièrement pour ouvrir le Traité sur la liberté du chrétien : Un chrétien est un libre Seigneur de toutes choses et il n’est soumis à personne. Un chrétien est un serf corvéable en toute chose et il est soumis à tout le monde. Que les témoins, les transmetteurs soient donnés pour accompagner nos quêtes ne génère rien d’autre que de la gratitude et l’élan du relai pour poursuivre la tâche.

A vous le monde ? Il est le lieu, tous ses lieux sont les lieux où, devant qui que ce soit, nous pouvons manifester par nos paroles et nos actes qu’il est possible de vivre autrement que dans les logiques de prédation et de domination.
A vous soit la vie, soit la mort ? Dans la confiance, dans l’espérance, elles ne suscitent plus ni frayeur, ni fascination, ni soumission, elles ne sont ni sacrées ni méprisables.
A vous soit le présent, soit l’avenir ? Ce sont les temps des possibles, des peut-être, de l’inventivité, de la participation à l’œuvre de Dieu.
Ils sont à nous si nous ne nous abusons pas nous-mêmes en restant attachés, en restant collés aux autojustifications et aux justifications mondaines, jusqu’à cette hypocrisie qui agaçait prodigieusement Paul ; les Galates l’ont clairement lu dans l’épître que l’apôtre leur a adressée.
Tout est à nous parce que nous sommes à Christ, fondés dans la grâce, dans l’amour.
Ainsi il s’agit de devenir responsable dans ce vaste espace, dans cette liberté ouverte, répondre de la grâce donnée et reçue et déjà dans la manière de considérer autrui, de l’envisager non comme autre à combattre mais comme un autre bénéficiaire de la même grâce, appelé à la même vie vivante.

Paul rappelle aux Corinthiens et à tous les croyants que le don de la grâce les décale de la sagesse du monde, radicalement, c’est à dire à la racine, à l’origine. Leur identité n’est pas assignée, ni méritée ; elle est en Christ qui les relie à Dieu, source de vie vivante. Vous êtes à Christ : loin de l’ornière de l’esprit de parti où l’existence échoue à être véritablement existence, où l’être humain est confiné, entravé, le décalage est tenu d’avec les idéologies et les structures qui replient et referment la possibilité d’exister. Vous êtes à Christ : là est le commun large et accueillant à la diversité des singularités, le gage de toute dynamique de vie, l’ouverture aux possibles, la plénitude de la vie, la paix de l’âme.

Tout est à nous, et nous sommes à Christ et Christ est à Dieu. Sur cette conscience, sur cette prise de conscience, il importe de rester vigilant pour ne pas être rétrécis, ne pas être réduits aux partis, aux dogmes, à la conformité, aux déterminations extérieures, à la fatalité de devoir mourir, à subir ce qui est et ce qui vient, tout ce qui restreint et contraint, enferme et exclut. Parce que ce monde qui ne reconnaît pas le Christ est aussi le monde aimé de Dieu, nous pouvons ainsi manifester qu’il est possible de vivre autrement que selon les logiques de domination et de sélection, vivre de gratuité, de don, de reconnaissance, de confiance. L’Église est le lieu où nous le découvrons, où nous en gardons la conscience vive, où nous l’expérimentons. Et c’est pour le manifester ailleurs, pour le proposer, l’offrir autour de nous, partout et à tous et toutes, c’est-à-dire déjà là où nous vivons quotidiennement. C’est la part, la responsabilité que nous sommes appelés prendre au sein du monde.

Parce que nous sommes le temple de Dieu, parce que nous sommes à Christ et Christ à Dieu, nous pouvons témoigner qu’il est encore possible de vivre ensemble.

Orgue + Chœur de l'Oratoire

Cantique : Louange et Prière n°342 « Oh qu’il est beau de voir des frères », strophes 1 à 3

ANNONCES ET COLLECTE

PRIÈRE D’INTERCESSION :

Éternel nous te rendons grâce pour ce que nous recevons des témoins de la foi qui nous ont précédés et qui nous aident à comprendre ce que c’est qu’être vivant, être humain.

Nous avons toujours besoin de devenir lucides sur ce qui nous habite et sur ce qui nous entoure :

  • sur ces pensées, ces rêves, ces tentations de grandeur, de pouvoir, de renommée, de prestige,
  • sur ces logiques de comparaisons, de mérites, de performances.

Nous avons besoin d’être éclairés pour ne pas nous y perdre et pour ne pas perdre celles et ceux qui ne sauraient pas, ne pourraient pas s’y débrouiller.

Nous avons besoin d’être encouragés pour renoncer à l’exercice de grandes et petites puissances de domination sur autrui et sur ce qui nous entoure et pour favoriser les solidarités et les coopérations.

Nous voyons bien, nous savons que tant d’hommes, de femmes, d’enfants sont meurtris et tués par ces logiques mortelles de cupidité, d’idolâtrie, de violence, d’indifférence ; et nous prions pour ne pas nous résigner, pour ne pas oublier, et pour prendre notre part aux œuvres de justice, de respect, de paix.

NOTRE PÈRE

Nous glissons notre prière dans celle que Jésus a enseigné à ses disciples :
Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal.
Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire,
Aux siècles des siècles. Amen.

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