Il y a une semaine, nous fêtions Pâques. Le récit d’aujourd’hui, fait suite à la venue au tombeau des femmes qui se sont retrouvées devant un tombeau vide. Dans d’autres récits l’on nous dit que Jean, avait cru, et que Marie Madeleine avait eu une apparition de Jésus-Christ… Mais ceux et celles qui avaient vu ont-ils réussi à convaincre les autres disciples ? Peut-être mais ici on pourrait croire que ce n’est pas le cas ! Les disciples rassemblés dans notre récit, dans un lieu clos, peuvent demeurer perplexes devant ces témoignages et s’interroger sur eux-mêmes et sur leur propre sécurité. Que deviendront-ils ? Quelqu’un viendra-t-il les arrêter et les condamner à leur tour pour avoir suivi un blasphémateur ? Nous vivons dans une situation de confinement avec des possibilités de déplacement réduites ou a géométrie variable selon les lieux, les périodes et des couvre-feux qui perturbent nos habitudes. Les disciples eux étaient aussi confinés ou plutôt ils se sont eux-mêmes confinés, enfermés à double tour ! Pourtant, c’est ici que tout bascule, Jésus apparaît au milieu d’eux. Pour le récit de Jean, cela se fait naturellement, il vient, il est là ! Il n’a pas frappé, il n’est pas entré par la porte, il est là ! Bien sûr, ceux qui manipulent l’humour penseront à prêter à Jésus des dons de passe-muraille, d’ailleurs il avait bien marché sur les eaux… Mais plus sérieusement le récit nous dit que Jésus est présent parmi eux et avec eux. L’apparition aux disciples claquemurés ! Malgré les portes verrouillées, le récit qui précède celui de Thomas nous dit que Jésus apparaît aux disciples, mais, prennent-ils pleinement conscience que celui qu’ils voient est celui qu’ils ont quitté le soir de son arrestation ? Bien sûr, il est mort et, pourtant il est là devant eux… Le Christ ressuscité et non plus seulement Jésus de Nazareth se dresse devant eux ! Ils ont devant eux celui qui a triomphé de la mort, celui qui nous annonce qu’en le suivant, la fin de notre itinéraire terrestre, ce n’est pas la mort, mais la Vie, dans l’éternité retrouvée, dans la présence bienveillante de notre Créateur. Les disciples pouvaient-ils, prendre la vraie mesure de cet événement ? Le pouvons-nous véritablement nous aussi ?Les disciples ont entendu Pierre et Marie oui mais Mais ils restent murés dans cette chambre haute, leur esprit tournant dans le vide, torturé par des pensées multiples dont le dénominateur commun est la peur : Peur des Juifs et des Romains, qui vont les pourchasser… et puis, il y a ce doute lancinant et o combien déroutant et perturbateur, cette remise en cause de ces trois années passées à suivre le Maître, durant lesquelles ils ont tout abandonné et cette question inévitable : se sont-ils trompés ? Et si Jésus n’était pas celui qu’ils croyaient ? Quel gâchis ! Et voilà qu’il est présent parmi eux et qu’il leur parle : la paix soit avec vous, shalom. Cette apparition de Jésus-Christ aux disciples a un effet stimulant : de la peur, ils passent à la joie, ils sont tous remplis de joie. Tous ? En fait, non pas tous, il en manque un, il manque Thomas. Où est-il et que faitil à ce moment-là ? On ne le sait pas. Mais en tout cas il n’est pas là… Alors qu’ils sont encore surpris et qu’ils ne peuvent décrire de manière matérielle et concrète ce qui leur arrive, Jésus redit une seconde fois pour qu’il n’y ait pas de doute : la paix soit avec vous ! Mais au-delà de cette petite phrase répétée, ne leur dit-il pas : Je vous connais mieux que vous-mêmes, je sais ce dont vous êtes capables et incapables, mais je vous donne ma Paix, moi le ressuscité, le Fils éternel de Dieu. Les disciples pensaient que tout était fini, mais lui leur révèle que tout se poursuit et d’une certaine manière que tout va commencer ! C’est un vrai coup de massue, pour les disciples ! Peut-être encore plus difficile à vivre que la peur qui leur tordait les boyaux cinq minutes plus tôt… Certes les apparitions de Jésus-Christ ne se donnent donc pas à voir comme des faits objectifs, mais comme des manifestations de la foi des disciples. Ce qui est intéressant dans ce récit, c’est que vous ne lirez dans aucun passage de l'Évangile le terme "apparition". Il n'y a pas d'apparition dans les Évangiles, il n'y a rien de surnaturel, ni de délire ni de fantasme ni de supercherie. Non, écrit Jean, Jésus est simplement présent. La réalité à laquelle il appartient désormais dépasse ce que nous sommes habitués à vivre et à considérer comme réel, parce que nous considérons uniquement comme réel ce qui est matériel, ce que nos mains peuvent toucher, palper. Ici il y a une autre réalité invisible à nos yeux qui se dévoile : c’est le monde nouveau de Dieu que l’on peut entrevoir qui suscite nos sens. Et en effet les disciples vont voir, percevoir, entendre, mais ils vont peu à peu comprendre que ce dont ils sont témoins est indescriptible et pourtant réel. Pour les disciples et pour celui qui écrit l'Évangile, Jésus est réellement présent parmi eux, même si à aucun moment dans le texte il n'y a de contact physique. Mais cette question va ressurgir lorsque Jésus apparaîtra une seconde fois devant les disciples et Thomas. Mais avant d’y venir, relisez ici le texte, il n'y a pas de contact physique, à aucun moment. Christ est présent. Il insuffle son Esprit et il donne sa paix à ses disciples. Et c'est ainsi que l'on ressent cette présence, cette présence mystérieuse du Christ, parmi nous, son Église. Thomas, l’homme qui ne voulait pas se tromper au sujet de la résurrection ! Après la surprise causée par l’apparition soudaine et inattendue de Jésus, le récit nous dit : ‘’Les disciples furent dans la joie en voyant le Seigneur’’, et lorsque Thomas les rejoint, ils sont trop heureux de lui annoncer : Nous avons vu le Seigneur ! » C’est-à-dire, nous l’avons vu, nous et pas toi ! Ce qui laisse Thomas dans l’expectative. La semaine suivante, malgré cette rencontre inattendue et inespérée et malgré le message que Jésus leur avait adressé : Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. La porte est toujours verrouillée, les disciples toujours enfermés. Ils sont toujours enfermés et dans le doute. Nous aurions tort de les accuser, car il faut bien avouer qu’ils ont été témoins de quelque chose qui sort de l’ordinaire. Mais cette fois-ci, il y a aussi Thomas. Thomas est un disciple, il connaît bien Jésus, il l'a fréquenté, il l'a accompagné. L'Évangile de Jean nous en parle à d'autres moments. Thomas, c'est en quelque sorte l'esprit fort du groupe, celui qui ne se laisse pas influencer facilement. Contrairement à ce que la tradition a voulu faire de lui, il n’est pas forcément celui qui doute. Thomas, c'est celui qui veut savoir, qui veut mettre sa foi à l'épreuve de son intelligence. Il veut toucher du doigt. Il veut avoir des preuves concrètes. Il ne veut pas qu’on lui raconte n’importe quoi. Sa foi intime lui dit que Dieu est un Dieu vrai et que ce qu’il fait ne relève pas de l’illusion ou du faux espoir. Alors si Jésus est bien revenu de la mort à la vie il veut aussi en saisir pleinement la vérité ! L’évangile nous dit que Jésus est venu à la rencontre de Thomas, qu’il a entendu ses questions ! Et cela nous parle aussi à nous. Si la résurrection est un mystère, on peut réfléchir à son sujet. On peut travailler, on peut essayer de comprendre ce qui s'est passé. Cela n'est pas interdit. Jésus semble avoir entendu les interrogations de Thomas et il lui dit : mets ton doigt ici, regarde, avance, met la main dans mon côté, cesse de douter, crois !. Jésus lui-même invite Thomas à faire cette réflexion, cette recherche, à faire cette expérience. Lisez bien le texte ! Thomas ne touche pas. À aucun moment, il n'y a de contact physique. Mais il y a tout autre chose. Il y a cette parole qui lui est adressée, cette parole du Christ. Thomas ne touche pas. Il a en effet découvert que la résurrection a une autre réalité que l'apparence physique. Il ne s’agit pas d’un culte de relique d’une foi superstitieuse envers la mort ! Thomas ne touche pas physiquement, car il est touché intérieurement. C'est au plus profond de lui-même que la résurrection est devenue une réalité. C'est désormais une conviction intérieure, que l'Esprit de Dieu a déposée en lui. Et Thomas le reconnaît quand il répond : Mon Seigneur et mon Dieu ! C’est, en quelques mots, toute une confession de foi qui va bien au-delà de ce que Thomas vient de constater. Ainsi, ce soir-là, Jésus est présent parmi ses disciples. Comme il veut l’être tous les jours de nos vies dans nos cheminements, dans nos questions, dans nos enfermements et nous faire prendre conscience que nous avons tort si nous croyons que la vie se borne à ce que nous vivons dans le quotidien banal de tous les jours. Dieu vient construire en nous une réalité nouvelle et nous aider à nous déposséder de ce qui trompe le regard pour nous ouvrir à sa présence quotidienne. Le Christ vient, il nous rejoint, pour briser nos enfermements ! Ce récit parle d’un bouleversement. Rien ne sera plus jamais comme avant. Celui qu'ils croyaient mort, éliminé par la méchanceté des hommes, est là, bien vivant. Il leur donne du courage. Bien plus, en soufflant sur eux et en leur disant : recevez l’Esprit saint, il les ramène à la vie ! Ils sont là avec une force nouvelle, mais aussi avec un défi nouveau : Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Les disciples sont envoyés en mission pour prendre la suite de Jésus, pour diffuser le message reçu au cours du temps passé avec lui. Mais il leur dit aussi : Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. Il ne s’agit pas d’un pouvoir donné à une Église institution, mais d’une invitation à dépasser les fautes et à construire des fondations nouvelles. C’est aussi un appel à reconsidérer nos chemins, nos actes et à entrer dans la logique du pardon et de la libération, c’est s’ouvrir à la possibilité de comprendre son erreur, de se repentir et de prendre un chemin nouveau ! Dieu pardonne oui, mais il n’impose pas sa manière de voir et il l’offre à qui veut en vivre. Ces récits et nous aujourd’hui ? Chaque année dans nos cultes nous avons répété cette parole la paix soit avec vous ! Nous avons bien besoin de cette annonce de paix, 2000 ans après qu’elle a été prononcée une première fois. Car nous aussi, nous sommes comme les disciples, écrasés dans ce monde anxiogène, submergés de tous côtés par mille causes de peurs, chez nous, dans nos familles, face à la maladie, face aux incertitudes telles que le chômage, face aux précarités, sans oublier les flux migratoires sources de tous les fantasmes, ces conflits dont le nombre explose en même temps que celui des réfugiés !Alors, nous avons-nous aussi tendance à nous replier sur nous-mêmes consciemment ou malgré nous, insensiblement ? Comment ne pas désespérer, diront certains devant cette absence apparente de Dieu ? Se désintéresse-t-il de nous, de son Humanité ? La parole qui vient conclure notre évangile nous redit encore : Comme le Père m’a envoyé, à mon tour, je vous envoie. Mais pour aller vers les autres, il nous faut aussi entrer dans cette Paix intérieure, donnée par le Christ. C’est le préalable, le prérequis sans lequel nous ne pouvons répondre à cette mission. Comment aller vers l’autre, lui tendre la main, être en empathie avec lui, si nous n’avons pas réglé nos propres problèmes intérieurs ? De même qu’il ne peut y avoir de Grâce sans repentance, il ne peut y avoir service du Seigneur sans avoir accepté et reçu Sa Paix. Il ne peut pas non plus y avoir de paix intérieure sans réconciliation avec Notre Dieu. Il ne peut pas y avoir de réconciliation sans l’acceptation de son pardon. La foi n’est pas un délire béat pour esprits dérangés, c’est une certitude intérieure concrète qui n’exclut pas le doute et qui ose dire malgré les apparences, malgré le mal : je crois… que Dieu demeure le maître de toutes choses et que nos vies sont sous son regard bienveillant ! Je ne sais pourquoi, mais en me penchant sur les textes du jour pour rédiger cette prédication un verset de l’évangile de Jean m’a traversé l’esprit, je vous le laisse : Mes brebis entendent ma voix ; je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; et elles ne périront jamais, et personne ne les ravira de ma main. (Jean 10,27-28) Voilà ce que Christ, en forçant nos portes et nos murs, vient nous donner, ce que Lui seul peut faire, car Lui, le crucifié, ressuscité le 3e jour, nous place au-dessus les lois maléfiques régissant l’Humanité. Il n’abolit pas le mal, inhérent à notre condition humaine, il nous en libère : avec Lui, nous ne sommes plus du monde, même si nous restons dans le monde. Amen