PRÉDICATION Jésus chasse les marchands du temple Lorsque l’on évoque la figure de Jésus, il nous vient spontanément à l’esprit l’image de celui qui le soir de son arrestation à Gethsémané dit à l’apôtre Pierre de ranger son épée en ajoutant : « celui qui prendra l’épée périra par l’épée ! » Jésus apparaît comme celui qui prône le dialogue et l’attitude de Paix ; même face aux ennemis ! On le présente comme une figure de la non-violence active ! Comme un être pacifique qui dénonce par sa parole et ses actes et qui appelle à des comportements différents de ce que font les humains en général. Il fait ce pari fou que si chacun entend la voix de Dieu et se laisse guider vers l’amour du prochain alors les relations entre les humains vont changer et le monde sera différent ! Mais ici, dans notre récit, Jésus renverse les étals des marchands du Temple. Il est écrit qu’il chassa les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ! Ce récit qui nous présente Jésus chassant les marchands du Temple figure au début de l’évangile selon Jean, ce qui signifie que Jean place la scène au début du ministère de Jésus et qu’il souligne ainsi que son ministère sera d’emblée une remise en cause du culte israélite centré sur le Temple et les sacrifices. Pour Jean, dès le début, ce que Jésus propose entre en conflit avec ce que l’organisation des prêtres et du temple offre. Un seul des trois autres évangiles relate aussi une scène où Jésus chasse les marchands du Temple. Il s’agit de l’évangile selon Matthieu au, chapitre 21, juste avant la passion du Christ. Dès ce moment-là le texte souligne que les chefs du Temple indignés par ce qu’il faisait, vont viser à l’éliminer car il devient dangereux à leurs yeux. Jésus dans le récit de Jean s’en prend violemment aux marchands, il renverse les étals et il chasse les animaux de la cour du Temple. En plus, il se confectionne rapidement un fouet avec lequel il chasse animaux et vendeurs… Voilà une scène qui s’oppose à l’image d’un Jésus passif… Jésus agit comme les prophètes qui l’ont précédé. Ils l’ont parfois fait eux-mêmes pour dénoncer le scandale des dirigeants corrompus qui vivaient au détriment du peuple et opprimaient les plus démunis sans vergogne. Jésus pose ici un acte provocateur qui nous fait penser davantage au prophète Élie qui, en son temps, défia les prophètes de Baal et fit descendre sur eux le feu du ciel !En chassant les marchands du Temple Jésus dénonce ouvertement la pratique de sacrifices tels que les codifiait le livre du Lévitique. Il laisse entendre que Dieu n’attache pas autant d’importance que l’on croit aux sacrifices. Il n’est pas dans mes habitudes de citer in extenso des textes bibliques dans le cours d’une prédication, mais ici je vais le faire pour souligner à quel point Jésus se situe très nettement dans la lignée du prophète Ésaïe et du prophète Amos lorsqu’ils disent en proclamant la Parole de Dieu : Je n’ai rien à faire de vos nombreux sacrifices, déclare le Seigneur. J’en ai assez des béliers consumés par le feu et de la graisse des veaux. Je n’éprouve aucun plaisir au sang des taureaux, des agneaux et des boucs. Vous venez vous présenter devant moi, mais vous ai-je demandé de piétiner les cours de mon temple ? Cessez de m’apporter des offrandes, c’est inutile ; cessez de m’offrir la fumée des sacrifices, j’en ai horreur ; cessez vos célébrations de nouvelles lunes, de sabbats ou de fêtes solennelles, je n’admets pas un culte mêlé au crime, je déteste vos fêtes de nouvelle lune, vos cérémonies sont un fardeau pour moi, je suis fatigué de les supporter. Quand vous étendez les mains pour prier, je me bouche les yeux pour ne pas voir. Vous avez beau faire prière sur prière, je refuse d’écouter, car vos mains sont couvertes de sang. Nettoyez-vous, purifiez-vous, écartez de ma vue vos mauvaises actions, cessez de mal faire. Apprenez à bien faire, préoccupez-vous du droit des gens, tirez d’affaire l’opprimé, rendez justice à l’orphelin, défendez la cause de la veuve. (Ésaie 1,11) Paroles que l’on retrouve dans la proclamation du prophète Amos : Je déteste vos pèlerinages, je ne veux plus les voir, dit le Seigneur. Je ne peux plus sentir vos cérémonies religieuses, ni les sacrifices complets que vous venez me présenter. Je n’éprouve aucun plaisir à vos offrandes de grains. Je ne regarde même pas les veaux gras que vous m’offrez en sacrifice de communion. Cessez de brailler vos cantiques à mes oreilles ; je ne veux plus entendre le son de vos harpes. Laissez plutôt libre cours au droit. Que la justice puisse couler comme un torrent intarissable ! (Amos 5,1) Et nous pourrions ajouter le texte Ésaïe 58,6 et 7 qui crie à qui veut l’entendre : Le jeûne, tel que je l’aime, le voici, vous le savez bien : c’est libérer les hommes injustement enchaînés, c’est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, c’est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c’est supprimer tout ce qui les tient esclaves. C’est partager ton pain avec celui qui a faim, c’est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, fournir un vêtement à ceux qui n’en ont pas, ne pas te détourner de celui qui est ton frère. Jésus dénonce à son tour une pratique cultuelle qui est basée sur le rite plus que sur la miséricorde et la vérité. De plus, les marchands du Temple bénéficiaient d’un privilège. Ceux qui venaient de loin pour présenter leur offrande ne pouvaient amener leur propre bétail, mais ils devaient acheter près du Temple des animaux considérés comme purs et qui coûtaient relativement cher ! La tradition religieuse recommandait aux hébreux de faire trois pèlerinages lors de la Pâque, de la Pentecôte et de la fête des tentes. L’activité économique était importante et la tradition rabbinique relate que lors des célébrations d’une fête de Pâque il y eut jusqu’à six cent mille agneaux immolés et qu’il y avait d’innombrables pèlerins. Sur le marché il fallait aussi se munir d’une bourse pour acquérir la monnaie sacrée nécessaire à l’acquittement de l’impôt du Temple… Le trésor du Temple était considérable. Jésus en renversant les étals et en bousculant les marchands appelle à une libération des rites qui soumettent les individus au poids de la tradition. Pendant tout son ministère il en appellera à la conversion et à l’amour du prochain, à la prière à la foi et à ne pas réduire les formes de la religion à la pratique de rites et à un commerce lucratif et dévoyé. Jésus se munit d’un fouet. Si l’on essaie de bien comprendre le texte, il ne le fait pas pour frapper les marchands, mais pour chasser les animaux. Jésus ne s’en prend pas aux humains ne les agresse pas, mais dénonce leur comportement. Un geste fort pour que leur comportement change ! Jésus, comme l’a bien souligné Saint Augustin, fait preuve de courage et de colère. On dit souvent que la colère est mauvaise conseillère et c’est souvent le cas. Ici il faut interpréter cette colère comme une protestation virulente contre le dévoiement de la volonté de Dieu envers les hommes. Jean prête à Jésus les paroles du psaume 67, Verset 10 "le zèle de ta maison me dévore". Il faut du courage pour vouloir vivre à fond notre foi. Toutefois, notez le bien, Jésus n’appelle pas ici à une lutte armée, au soulèvement, à régler les comptes des autres au nom d’un fondamentalisme ou intégrisme aveugle et qui serait, lui aussi un piège. Il appelle chacun à une vie nouvelle, une vie libre sous le regard de Dieu. Jésus dénonce donc les scandales du commerce religieux. Il s’en prend au Temple, mais en le faisant, il s’attaque à cette institution du culte lévitique. Au-delà, il dénonce les images fausses de Dieu. Cette opposition au Temple lui coûtera la vie. Maintenant intéressons-nous à nos propres vies devant Dieu. Ne sommes-nous pas nous aussi parfois trop attachés à des habitudes, des rites, des traditions qui masquent la réalité de Dieu plus qu’elle ne le dévoile ? Sommes-nous prêts à militer pour changer les choses, à poser des actes qui font sens et qui proposent une manière de vivre différente ? Mais avant de le faire envers les autres, Jésus nous invite à le faire dans nos propres vies. Quel zèle mettons-nous dans notre engagement de foi ? Par ailleurs que devons-nous nous aussi chasser de nos vies pour qu’elles soient plus conformes à la vérité. Pour que notre être ne soit plus emprisonné dans des habitudes qui nous enferment, nous asservissent et nous privent en partie de l’œuvre de Dieu dans la vie quotidienne ! Jésus ici reproche aux marchands et à aux prêtres d’avoir fait du Temple une maison de commerce ou une caverne de voleurs ! Il dénonce bien sûr les prix abusifs et pose la question : y aurait-il quelque chose à payer pour que Dieu soit satisfait ? La réponse est non, mais Dieu attend de nous que nous lui offrions nos vies, il ne le fait pas pour annihiler notre liberté. Il rappelle que la relation avec Dieu ne passe pas par des médiations sacrificielles artificielles ou sacerdotales, mais par une relation directe avec Dieu. La véritable spiritualité commence dans une démarche intérieure et non dans l’obligation stricte de rites religieux. Au cours de notre démarche spirituelle nous pratiquons des rites pour vivre notre foi en communauté, ils ne peuvent en rien nous dispenser d’une démarche de foi personnelle et vraie. Les dons que nous adressons alors à nos églises ou à nos lieux de culte ne sont pas là pour que nous achetions la Grâce de Dieu, mais pour exprimer notre reconnaissance envers lui et parce que nous voulons que notre manière de vivre la foi se poursuive et soit rendue possible dans notre monde. C’est un don de reconnaissance et c’est là le sens réel de l’offrande. Au verset 17, il est écrit : « L’amour de ta maison fera mon tourment » que l’on peut aussi traduire par « le zèle de ta maison me dévore », parole empruntée au psaume 69, verset 10. Nous retrouvons là la présence du Dieu qui avait dit à Moïse, tu ne te feras pas d’autres dieux devant ma face ! Dieu n’est pas indifférent aux asservissements politiques, sociaux ou religieux qui existent dans notre monde. Le Dieu dont parle Jésus combat toutes ces dérives qui privent les humains d’espérance, qui les exploitent ou qui les trompent et les asservissent au lieu de leur ouvrir le chemin de vie en liberté, au lieu de prendre en compte leur souffrance et de travailler à réparer les injustices et à guérir ceux et celles qui sont là, blessés au bord de la route de la vie. Ce récit de Jésus chassant les marchands est un appel à la vigilance et à e la nouveauté que Dieu nous offre chaque matin dans sa clémence infinie ! Amen