Pauvre Mikal, elle a le bien triste rôle du rabat-joie ; dans un épisode plein de joie et de ferveur, elle est cette voix qui essaie de gâcher le plaisir du roi.
Il faut dire que Mikal est la fille de Saül, le roi qui fut tour à tour le protecteur puis l’ennemi du jeune David. Elle fut donnée en mariage à David et la Bible nous dit que David épousa ensuite Abigail et d’autres femmes aussi, alors qu’elle fut donnée en mariage à Palti de Gallim. Elle a toujours été une sorte de monnaie d’échange diplomatique, voire de piège, tendu par son père pour servir sa paranoïa. Elle a quelque raison d’être frustrée. Elle qui fut donnée en mariage à David contre une dot de deux cents prépuces de Philistins tués par David, alors qu’il aurait dû se faire tuer par eux à la guerre.
Mais, malgré tout, les textes disent que Mikal aimait sincèrement David ; elle lui sauva même la vie alors que son père tendait un nouveau piège à David.
Mikal est honteuse de celui qu’elle aime quand elle le voit danser, tournoyer sans gêne dans une tenue très impudique à ses yeux. David porte le pagne d’éphob, ce tissu de lin que revêtent les prêtres, et s’adonne à une liturgie quelque peu débridée devant le coffre de l’alliance. Entre ces deux-là, il y a une incompréhension de fond.
En préparant le baptême de Samuel, nous avons parlé de ce texte qu’il a choisi de nous faire partager aujourd’hui. Et nous avons évoqué cette expression de la joie spirituelle. Cette joie qui s’exprime sans que les codes habituels de la pudeur ou de la honte ne puissent avoir de prise sur celui qui l’éprouve.
Quand Samuel chante, car c’est son métier, il chante en donnant ce qui est le plus intime en lui dans un acte sincère où la question de savoir si l’on va le juger pour son impudeur ne se pose pas. En effet, l’engagement dans le chant lyrique ne concerne pas l’image que l’on souhaite renvoyer pour plaire, mais bien plutôt une expérience qui fait appel, quand le talent est là, à la sincérité et à l’intimité de l’artiste. Celui qui chante peut être le même homme que celui qui est tout timide dans la vie quotidienne, sauf que par le chant, une dimension transcendante permet un dépassement des barrières habituelles qui rend possible le partage de la joie intime, comme parfois du tragique, sans que ce soit un problème. L’artiste est alors dans son rôle. Il interprète, mais avec ce qu’il y a de plus profond en lui. Il joue, mais avec ce qui fait sa singularité, son intimité.
Il se passe alors quelque chose qui ne se passe nulle part ailleurs. Comme une découverte de quelque chose en soi qui ne peut être exprimé autrement. Un moment de vérité, d’authenticité irremplaçable.
Le roi David est dans cette authenticité : il ne cherche pas à plaire, ni à déplaire, il se moque des rabat-joie, il n’y pense pas. Il exprime ce qui outrepasse en lui son humanité limitée ; il est exalté par son bonheur de croire.
Le coffre de l’alliance entre à Jérusalem. C’est une liesse populaire et manifestement aussi royale.
Mais que signifie cet événement dans l’histoire d’Israël pour qu’on le raconte de cette façon ?
Sans doute, cette histoire n’est-elle pas historique du tout. Le coffre de l’alliance correspond à plusieurs réalités dans l’histoire d’Israël. Sans doute le peuple d’Israël avait un Dieu tutélaire, YHWH, dont on transportait la statue dans un coffre, comme cela se faisait beaucoup. Et oui, YHWH était sans doute d’abord une idole de pierre ou de bois. Puis, après la réforme du roi Josias, on décida de mettre deux tables de pierre dans un coffre en guise d’arche d’alliance. Puis les Babyloniens déferlèrent sur Jérusalem et saccagèrent tout, le temple, le saint des saints, et on ne retrouva jamais ce coffre.
Après l’exil, on parla de reconstruire un sanctuaire avec dedans un coffre en bois d’acacia recouvert d’or et surmonté de chérubins, mais rien de tout cela n’arriva. Et on ne sait pas jusqu’à aujourd’hui ce qu’est devenue l’arche d’alliance.
Ce que décrit la Bible contredit ce que disent les historiens et les archéologues. L’entrée de l’arche n’a pas pu se faire à Jérusalem au dixième siècle avant Jésus Christ avec le roi David dansant à moitié nu comme un exalté. Bien sûr ce n’est pas ce qui doit remettre en question le message de la Bible, mais cela doit nous interroger. Pourquoi situer un évènement aussi important à Jérusalem alors qu’il est très invraisemblable qu’il ait pu s’y produire, puisqu’à l’époque où se situe le récit, le royaume du Nord, Israël et celui du sud, Juda n’étaient pas du tout unifiés et que Jérusalem était une petite ville ne comptant sans doute pas plus de 2000 âmes ?
C’est que le désir d’un grand royaume réunissant le Nord et le Sud autour du même Dieu est un désir ancien des rois de Samarie et de Juda.
L’arche d’alliance qui entre dans Jérusalem sous les acclamations du peuple, c’est le récit national d’un peuple qui a besoin de croire à son unité, à sa force contre les envahisseurs, mais aussi à son salut après l’invasion des Assyriens qui saccagent Samarie et qui obligent une partie des habitants du nord à se réfugier au sud, grossissant ainsi subitement la population de la petite Jérusalem et lui apportant le développement que Samarie connaissait avant l’invasion.
L’histoire et l’archéologie attirent ainsi notre attention sur ce héros national qu’est David et sur cet événement de joie terni par l’intervention de Mikal.
Ce mépris de Mikal, c’est le mépris des orgueilleux, de ceux qui projettent sur leur héros, leurs personnages publics, leurs stars, tout ce qu’ils veulent pour leur propre gloire ou pour flatter leurs propres sentiments.
David se donne en spectacle dans une allure dégradante aux yeux de Mikal, mais cette réprobation reste bien secondaire aux yeux de David. L’intervention de Mikal dans le récit permet toutefois au personnage de David de s’expliquer sur sa conduite. David sert le Dieu qui lui a conféré l’onction royale. Cette onction a été confirmée par toutes les tribus d’Israël. « C’est devant le Seigneur que j’ai agi ainsi ». David est tout petit devant le Seigneur et il est prêt à s’abaisser encore auprès de ces servantes dont parle Mikal, car c’est auprès d’elles qu’il veut gagner sa gloire.
David se moque bien de remplir le rôle de roi en écrasant de son pouvoir et de sa gloire le peuple que Dieu lui confie. Il veut servir Dieu ; il n’est pas là pour qu’on le craigne à la place de Dieu, qu’on le loue à la place de Dieu, qu’on le bénisse à la place de Dieu.
David est et restera le berger qui, toujours, s’est demandé qui il était pour avoir été élu par Dieu. Il reste le petit pâtre qui joue de la musique en gardant ses brebis et il sait que le service qu’on lui confie est un honneur et une responsabilité qu’il ne doit pas à sa petite personne mais à Dieu qui l’appelle à servir.
Alors, chers amis, ne vous inquiétez pas, nul besoin de se mettre à danser à moitié nu devant le temple pour être un serviteur sincère de Dieu. Mais quelle belle idée que celle de pouvoir exprimer sa foi et son bonheur de croire avec ce qu’on est et pas avec ce que d’autres voudraient qu’on soit ?
Car il s’agit bien de cela. Ne pas bouder son appel, mais l’endosser en toute humilité, sans renier ce qui fait ce que l’on est. C’est David qui est appelé, pas la rabat-joie Mikal qui n’aime pas sa façon de bouger, de s’habiller, de chanter, de prier ou de jouer de la lyre. Mikal ne reconnaît pas à Dieu le droit d’appeler des gens très différents d’elle et dont l’image et l’attitude ne sont pas en conformité avec l’idée qu’elle se fait d’un appelé, d’un serviteur de Dieu.
Mikal n’aime pas la foi de David parce qu’elle la dérange dans ces images de la foi et de l’autorité.
Le personnage public, l’homme ou la femme de pouvoir sont les lieux de projections des désirs de ceux qu’ils doivent servir et souvent les cibles de leurs condamnations. Ce que rétorque David ici, c’est ce que dira le Christ à ses disciples : il n’est pas venu en imposer aux autres par son image plaisante, il est venu servir et c’est de ce service qu’il tire son autorité. Dût-il s’humilier pour la cause qu’il sert, ce n’est pas sa personne qui compte, mais la foi qu’il place dans l’appel qu’il a reçu, dans la mission qu’il doit accomplir. Comme Auguste Sabatier le décrivait dans son livre sur la religion de l’Esprit : « l’Evangile est à la religion ce que le devoir est à la morale ». Ainsi, le serviteur de Dieu est au-delà de la morale, il est dans l’Évangile, il obéit par joie et librement. Il engage donc ce qu’il est dans son action. Pas pour se conformer à une morale, mais pour jouir de la liberté qui lui est donnée dans la foi.
Ainsi, le Christ en nouveau David, comme il est présenté dans les Évangiles, reçoit-il l’onction du royaume de Dieu, le baptême, de la main de Jean le Baptiste, qui se dit lui-même indigne de délier la courroie de ses sandales. Le Christ est le serviteur libre et consentant de tous et il nous dit que c’est celui qui sert les autres qui est dans la sincérité de la foi. Pas celui qui cherche sa propre gloire à travers la responsabilité qui lui est confiée.
Ainsi en est-il de quiconque souhaite entrer au service de cette Parole de salut qui parcourt la Bible.
La joie du service n’est pas dans la gloire qu’on en retire, mais dans le service lui-même. David est débordant de générosité ; il donne à chacun des membres de son peuple : un gâteau de pain, un gâteau de dattes et un gâteau de raisins. Sa joie et sa prodigalité pour le peuple sont les fruits de sa foi.
Cette image mythique du bon roi est celle du serviteur tel que la Bible nous le présente. Nous avons vécu un baptême ensemble, avec ce signe visible de la joie infinie que procure la foi ; nous sommes dans la même fête que le roi David. David fête l’arrivée du coffre de l’alliance ; il fête le don de la loi qui rend libre, et la fête est toujours une exaction par rapport aux règles de la morale. Pas étonnant alors qu’il sorte du cadre. L’arrivée de l’arche d’alliance, c’est la fête des serviteurs d’un Dieu qui accompagne son peuple dans toutes ses aventures, et qui se réjouit d’une telle alliance. A nous de lui signifier notre reconnaissance pour cet amour extraordinaire et cette fidélité sans faille et d’entrer dans la danse.
Que notre service soit le reflet de notre joie de servir, que notre foi rayonne au travers de nos dons, de nos talents, de nos charismes. C’est chacun de nous que Dieu choisit par la foi, chacun de nous dans sa singularité. Il n’y a pas de modèle pour la joie, il y a la joie d’aimer. Et quand elle est sincère, pas une Mikal au monde ne devrait pouvoir l’assombrir. AMEN.
Musique : orgue et choeur