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« On met le vin nouveau dans les outres neuves et l’ensemble se conserve ».
            L ‘arrivée du règne de Dieu fait éclater les vieilles outres, les pratiques anciennes, les méthodes du passé.
            Pour conserver l’ensemble, il faut changer ! Pour créer du durable, il faut accepter de repartir à neuf. Cette idée n’est pas facile à penser. Spontanément, on aurait tendance à penser que pour faire du durable, il faut rester dans la continuité. Pourtant, cet échange entre Jésus et les disciples de Jean nous indique une autre voie possible.

            Comment débute cette controverse ?
Les disciples de Jean viennent dire comment ils ont toujours fait et s’étonnent de voir qu’avec Jésus, les choses ont changé : on ne fait plus comme avant.
            Les disciples de Jean, comme les pharisiens, pratiquent le jeûne. Ils sont dans un ascétisme qu’ils croient juste. Et sans doute leur fidélité à Dieu s’exprime-t-elle de cette façon. Jean est un prophète qui fonde tout son discours sur la pureté du cœur, il juge sa génération comme étant pervertie par l’envie de chacun de privilégier ses intérêts propres, plutôt que de se convertir à la parole Dieu. Et, en réaction à ce constat, il prône un ascétisme visant à ceindre les reins de de ses contemporains, comme il s’est ceint lui-même les reins. Il voudrait un monde de prophètes comme lui, dans lequel tous auraient fait le choix de vivre de ce que Dieu lui donne au jour le jour : des sauterelles et du miel. Il voudrait que ses frères et sœurs dans la foi, les enfants d’Israël, soient toutes et tous des ascètes. Mais les sauterelles et le miel ne sont pas du goût de tout le monde et le monde change.
            En fait, Jean et Jésus recherchent la même conversion des cœurs. Mais quand Jean prêche la préparation à recevoir le règne de Dieu, Jésus va plus loin et affirme que le règne de Dieu a commencé, qu’il est là, et que les noces éternelles ont commencé, puisque le marié est là.
            Quand le jeûne de Jean et des pharisiens avait le rôle de préparer à recevoir l’accomplissement du royaume de Dieu dans le cœur de chacun, la « gloutonnerie » de Jésus manifeste la rupture d’une fête, des noces éternelles, de l’alliance qui enfin s’accomplit.
            Car Jésus est bien vu comme un glouton, et il semble le savoir car,  au chapitre 11 de l’Évangile de Matthieu, Jésus déclare en parlant de lui-même : « Jean est venu : il ne mangeait ni ne buvait, et l'on dit : « Il a un démon ! ». Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant, et l'on dit : « C'est un glouton et un buveur, un ami des collecteurs des taxes, des pécheurs ! » Mais la sagesse a été justifiée par ses œuvres. (Mt 11:18-19).
            Jésus n’annonce pas seulement la venue du règne de Dieu dans ce monde, il l’accomplit. C’est un changement de paradigmes très important et sans doute difficile à comprendre. Ce changement apparaît comme une rupture avec la foi d’Israël, marquée par l’attente du Messie. Cette attente messianique est une véritable théologie, une pensée qui a sa cohérence interne et dans laquelle le prophétisme et l’ascétisme remplissent tout à fait leur fonction de marqueurs d’un règne qui n’est pas encore là et que le peuple de Dieu espère sans cesse.
            Le comportement de Jésus, lui, a une autre cohérence interne: celle du royaume déjà là. Ce qui veut dire que les promesses messianiques sont accomplies. Toujours dans le chapitre 11 de l’Évangile de Matthieu, à ceux qui viennent rapporter la question de Jean à Jésus : « est-ce toi celui qui vient, ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus répond : « les aveugles retrouvent la vue, les infirmes marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts se réveillent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Mt 11:4-5)
            Quand Jean conjugue au futur l’accom­plissement du salut de Dieu, Jésus, lui, le conjugue au présent.
            On pourrait penser que le discours religieux est un discours conservateur et que dans ce contexte, seule la tradition y a droit de citer. Mais ce qu’annonce Jésus avec les images du vieux vêtement reprisé et des outres de vin, c’est une reprise innovante du contenu de la foi. Ce que le philosophe et théologien danois du 19ème siècle Kierkegaard, appelle - selon ses traducteurs - : la réduplication.
            Pour conserver le cœur du message de l’Évangile, il ne s’agit pas de faire comme on a toujours fait. C’est même l’inverse qu’il convient de faire : il faut changer, convertir ce que l’on a reçu comme témoignages de foi en l’accomplissant dans le monde tel qu’il est au moment où nous le recevons.
            Ce qui se transmet de l’histoire du salut d’âge en âge, et de génération en génération, c’est précisément ce qui échappe, ce qui est plus grand que nous, ce qui est éternel. Et pour transmettre fidèlement cette part d’éternité qui nous sauve, il faut la rédupliquer, c’est à dire se l’approprier dans les codes du monde actuel.
            Il faut contemporanéiser l’Évangile.
            Il faut donc que l’Évangile reçu, cette Bonne Nouvelle du salut de Dieu pour l’Homme devienne l’Évangile en acte dans nos vies, le code vivant de nos existences.
            Sans cesse, les religions sont travaillées par cette question et elles s’épuisent en vaines querelles entre les anciens et les modernes comme si la question était de savoir si l’on devait tout faire comme avant pour être fidèle à une tradition ou si l’on devait tout rejeter parce que la tradition n’est plus à la mode et que le monde a changé. Mais une tradition qui traverse les âges et se transmet fidèlement ne le fait que si elle est réinterprétée sans cesse par ses contemporains. Si elle est érigée en code de l’existence ici et maintenant. C’est pourquoi être fidèle revient à ne pas faire ce qu’on fait les Pères, mais réinventer la tradition pour le présent de nos vies.
           
            « On met le vin nouveau dans les outres neuves et l’ensemble se conserve ».
            Le problème que pose Jésus, c’est celui du temps qui sans cesse avance et ne conserve que ce qui se transforme avec lui. Le vin nouveau qu’il est venu annoncer à la suite de Jean, mais différemment de Jean, c’est son Évangile, celui selon lequel l’attente ne peut plus être le paradigme de la foi. Parce que l’histoire a donné tort à la position d’attente et que Jésus comprend que cette théologie de l’attente l’empêcherait de voir le salut que Dieu, déjà, accomplit.
            Jésus a reçu en lui cette foi annoncée par les prophètes. Et il est devenu cet homme nouveau dont parlera Paul après lui. Cette nouveauté nécessitait de nouveaux comportements pour pouvoir rester fidèle au Dieu de ses Pères.
            Hier comme aujourd’hui, cette réforme constante et nécessaire des codes de la foi est difficile à envisager et même à vivre. Et pourtant combien sommes-nous à avoir changé de confession chrétienne justement pour rester fidèles au Christ ? Les réformateurs eux-mêmes n’ont-ils pas changé la forme même du rite chrétien et des églises pour rester fidèles à la foi qui les animaient et qu’ils avaient reçue de leurs pères ?
             Pour conserver, il ne faut pas être conservateur mais novateur. Non pas pour être moderne, mais parce que le monde qui est le nôtre n’est plus le monde de nos ancêtres et que l’Évangile est une matière vivante, pas une archive conservée pieusement dans du papier de soie.
            L’Évangile est comme le vin nouveau, le vin de la fête, le vin des noces du croyant avec son Dieu. Si l’on tente de le contenir dans des schémas anciens qui ne correspondent pas au monde contemporain, les schémas anciens éclatent et le vin de l’Évangile est perdu.
            Nombreux sont les chrétiens, de toutes confessions chrétiennes confondues qui ne comprennent pas comment leurs églises peuvent rester dans une telle inertie de normes anciennes qui ne sont plus comprises aujourd’hui, dans notre monde contemporain. Le célibat demandé au clergé, l’impossibilité des femmes d’accéder aux mêmes ministères que les hommes, les difficultés d’accueil mutuel au repas du Seigneur, l’impossibilité de célébrer des mariages réellement œcuméniques, le discours toujours moralisateur là où l’Évangile annonce un accueil inconditionnel de chacun.
            Et ce qui est vrai pour le christianisme est vrai partout où les hommes ont pour tâche d’inventer demain ensemble. Nos sociétés ont dû se réformer sans cesse et ce qui nous paraît évident dans notre génération ne l’était absolument pas dans la précédente. Par exemple, la vision de ce qu’est un viol et l’évolution entre le rôle de la femme autrefois vue comme tentatrice vers la reconnaissance de son statut de victime. Ou encore la prise en compte de la douleur chez les tout-petits enfants dont on imaginait jadis la sensibilité à la douleur moindre que celle d’un adulte. Ou encore la possibilité de dénoncer les incestes et de les punir.
            Pour que ces évolutions puissent avoir lieu, il a fallu que les mentalités changent pour être capables d’avoir de nouveaux regards sur la réalité et de mettre en place de nouvelles façons d’agir, de légiférer ou de soigner.
           
            Des outres neuves pour un vin nouveau. Voilà ce que nous propose l’Évangile : le contraire du fondamentalisme.
            Notre monde change, comme celui de Jésus avait changé par rapport à celui de Jean. Il n’était plus temps pour Jésus de jeûner, mais le temps était venu de dîner avec les collecteurs de taxes et les pécheurs, parce que son Évangile à lui, la Bonne Nouvelle qui le faisait vivre, c’était celui d’un royaume qui existerait là où  l’amour de Dieu était annoncé et reçu.
            Les besoins de nos contemporains ont changé, le mode de vie, la conception du temps, du travail, de la vie amoureuse, de la parentalité, tout évolue sans cesse et ouvre des voies encore inexplorées. Certains s’en lamentent au nom de la bonne morale, d’autres s’en effraient au nom de la préservation de la société. Mais la réalité est là, et elle n’est pas plus ou moins intéressante que ne l’était la réalité des époques passées. C’est dans cette réalité que s’invente notre annonce de l’Évangile : toujours comme une Bonne Nouvelle, mais pour un monde qui n’est jamais le même.
            La tentation serait de faire du même et d’entrer dans une imitation de Jésus Christ.
 Mais tout individu doit s’approprier l’éternité du salut dans son existence. Il ne s’agit donc pas d’imiter le Christ, mais de devenir christique dans ce monde ; c’est-à-dire d’agir selon notre propre compréhension de l’Évangile dans nos codes contemporains et ainsi, d'ajouter notre propre page d’Évangile au grand livre de l’histoire du salut en n’ayant jamais peur d’utiliser des outres neuves.

AMEN.

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