Drôle de famille que cette famille de Jésus et surtout drôle de sensation d'actualité en lisant ce récit. La famille de Jésus est certes traditionnelle : un papa, une maman, un enfant. Mais quel papa ! Quelle maman ! Et quel enfant ! Le père n'est pas le père naturel ; La mère est la mère naturelle, mais elle est vierge. Et le fils est le fils d'un autre père. Avec tout ça, on est quand même dans la confusion complète. On dirait bien que la famille traditionnelle qui se réclame habituellement de la génétique prend un autre visage. Et si l'on s'adonnait à l'art de la variation sur le thème de la famille en partant du conte que nous venons d'entendre, à coup sûr il y aurait beaucoup de versions possibles de ce thème ancestral. D'abord le père pourrait être le géniteur et le père en même temps. La mère pourrait être une jeune primipare et le petit garçon pourrait être le fils de ses deux parents. Ou alors le père pourrait être le beau-père aussi et Marie accoucherait alors d'un enfant engendré par un autre géniteur inconnu du récit. Et si l'imagination se laissait porter plus loin, on pourrait imaginer un père qui accueillerait un enfant né d'une mère porteuse appelée Marie. La sainte famille pourrait être composée de deux mamans ou de deux papas, d'une maman seule ou d'un papa seul. Il n'en resterait pas moins que l'enfant Jésus serait toujours le fils de Dieu. L'invariant est là.
Ce qui est saint dans cette famille, c'est l'amour de Dieu pour cet enfant. Qu'il naisse dans une famille où rien ne semble acquis d'emblée, nous le rappelle. L'être humain n'est pas précieux par génétique, mais par symbolique. Peu importe la nature et ce qui se revendique comme naturel. Ce qui compte c'est l'adoption mutuelle de tous ces membres de la famille. Bien sûr les liens entre les membres d'une famille ne se tissent peut-être pas de la même façon selon la configuration de celle-ci. Les difficultés et les facilités ne se placent pas au même endroit, selon qu'on est père et géniteur, beau-père et beau-père adoptif. Mais ce qui est essentiel, c'est le rôle symbolique de chacun et ce n'est parfois pas au sein de la famille du sang que l'on trouve celui ou celle qui tient lieu de parent. Beaucoup d'histoires nous le disent et peut-être dans notre propre histoire nous l'avons vécu.
Les difficultés qui sont présentées pour nous parler de Joseph, ce père qu'il est sans le vouloir, pour rendre service, pour un projet qui n'est même pas le sien, ou celles qui entourent la maternité de Marie, qui a tout à perdre dans cette grossesse qui lui tombe dessus comme s’abat la misère sur le monde, toutes ces difficultés sont les embûches qu'il faut aplanir sur le chemin de salut. Ce sont les embûches de notre humanité, mue par des liens et des attachements qui ne correspondent pas toujours avec ce que la réalité de nos corps et de nos vies nous dicterait, ni même avec ce que nos lois, pourtant écrites par nous, nous dictent de faire ou de ne pas faire. Les choses ne sont jamais si simples. Dans le récit de Luc, aucun rôle ne rentre dans la case traditionnelle assignée à chacun. Et les cartes sont rebattues, révélant l'inventivité de la vie contre l'évidence de la norme. Du recensement à l'hôtellerie, c'est l'excès qui se révèle : ce qui excède les normes, ce qui dépasse les listes, ce qui « surbooke » les chambre d'hôtel. La capacité hôtelière de la ville de David n'était pas adaptée à un tel événement. Toute cette histoire finit dans une étable, avec un enfant que le père n'a pas voulu, que la mère n'attendait pas et que pourtant les bergers discernent comme leur Sauveur, le Christ, le Seigneur.
Drôle de récit familial quand même, où seuls ceux qui ont vraiment besoin de la présence de cet enfant le reconnaissent et le glorifient. N'est-elle pas là précisément la place de chacun, là où l'on est attendu, là où l'on est désiré, appelé, adopté. Le petit enfant qui naît à Noël nous montre quelle est notre place à tous et surtout à chacun, tels que nous sommes dans notre singularité. Nous sommes désirés ou non, attendus ou non, engendrés ou non, par ceux qui sont nos parents sur le papier. Nous sommes engendrés d'abord par Dieu qui nous aime et qui désire nos vies, qui nous appelle et qui nous invite non pas à nous faire notre place dans ce monde mais à la découvrir en faisant confiance à cet amour plus grand que nous et plus grand que toutes nos normes, plus puissant que toutes les difficultés que nous pouvons rencontrer sur notre chemin.
L'auberge dont nous venons de parler dans le conte de ce soir est une auberge espagnole. On y trouve ce qu'on y apporte de confiance, d'espoir, de foi. C'est le modèle qu'a adopté notre église faite de tous les talents et de toutes les attentes de chacun de ceux qui la composent. En ce soir de Noël, chers amis, nous sommes tous ensemble dans cette auberge. Et cette année aura été tellement épuisante par les adaptations, les renoncements, les frustrations, les craintes, les deuils aussi, qu'elle aura générés, que nous arrivons tous comme ces voyageurs épuisés qui demandent où ils vont bien pouvoir passer la nuit pour se reposer un peu de tout cela, où ils vont bien pouvoir trouver leur place. Nous arrivons comme les bergers cherchant le salut en la vie d'un petit enfant dans lequel germe tous les possibles d'une vie aimée de Dieu. Mais peut-être êtes-vous venus aussi ici comme les Mages, de très loin, approchant avec curiosité de cet amour dont on vous aura parlé et que vous voudriez connaître dans vos vies. Ou peut-être êtes-vous comme Joseph, un peu dépassé par la vocation qu'il a reçue ou comme Marie pas convaincue du tout de pouvoir être à la hauteur de la tâche qu'on lui assigne.
En tout cas, ce soir, nous sommes tous comme Jésus qui a dû s'adapter jusqu'à dormir dans une mangeoire. Certes. Mais surtout ce soir nous sommes tous adoptés par le Père, par pur amour, et nous sommes tous invités à nous adopter dans le même amour les uns les autres. Ce soir c'est une naissance pour nous tous, enfants aimés de Dieu
Alors, gloire à Dieu et paix aux hommes qu'il aime !
Amen