Chère Madame, cher Monsieur,
C’est une vidéo toute simple, tournée avec un téléphone portable, qui a circulé sur les réseaux sociaux.
Une femme nous parle depuis une chambre d’hôpital, d’une voix faible et hésitante. Son visage est déformé au niveau de la mâchoire, elle a les larmes aux yeux.
Cette femme s’appelle Cécile Thircuir. Elle est comédienne et chanteuse et habite dans le quartier de La Filature, à Lille.
Cécile Thircuir explique comment elle a été frappée par un dealer en rentrant chez elle, parce que dit-elle « j’ai haussé le ton, suite à des provocations. »
« J’ai la mâchoire cassée en deux, à deux endroits », dit-elle. Elle va devoir être opérée, porter des plaques dans la mâchoire. Et bien sûr elle ne pourra plus exercer son métier pendant de très longs mois.
La voix étouffée par l’émotion, la jeune femme lance un appel à la maire de Lille et à la préfecture : « Est-ce que vous pourriez prendre la mesure de la gravité de la situation ? », supplie-t-elle.
« Je vis dans une zone de non-droit, c’est-à-dire une zone dans laquelle une mafia gouverne, décide, agit, insulte, salit, provoque, harcèle, au quotidien. »
Elle demande à ce que son quartier fasse l’objet d’une surveillance « perpétuelle » de la part des forces de l’ordre. « Venir une fois par jour, deux fois par jour avec la police amuse les dealers. Ça leur donne des sujets de conversation. Je vous assure, je les entends. Les ”bleus”… et chacun y va de son exploit, pour raconter l’expérience avec ”les bleus” de la BAC ou de la B2R… »
Ce que décrit Cécile Thircuir, c’est le quotidien de centaine de milliers de Français qui vivent dans ces fameux « quartiers sensibles », dont le nombre augmente irrésistiblement, années après années, comme un cancer qui s’étend.
Le journal La Voix du Nord s’était fait l’écho du calvaire des habitants du quartier de La Filature :
« "Je n’ose plus inviter personne" , déplorait un habitant, tandis qu’une locataire confiait son désarroi : "Un soir, j’ai pleuré, de rage, de fatigue, d’impuissance." Ils décrivaient la prise de possession des lieux par des dealers. Ces derniers, avec des containers servant à gêner toute intervention policière, se sont installés dans deux entrées.
La porte d’un hall a été peinte en noir pour leur éviter d’être vus de l’extérieur. À l’intérieur, des caddies sont placés sur des paliers, prêts à être jetés dans les escaliers pour ralentir les forces de l’ordre. L’éclairage des parties communes a été cassé. Et des résidents sont sommés, contre de l’argent, de laisser leur appartement ouvert pour permettre aux trafiquants de s’y réfugier en cas de besoin. »
Et l’agression dont a été victime Cécile Thircuir n’est qu’une parmi les innombrables agressions ultra-violentes qui s’abattent quotidiennement sur la population française.
D’une certaine manière, Cécile Thircuir a eu de la chance. Elle a « seulement » eu la mâchoire fracassée par un dealer. Elle aurait pu mourir, car un coup de poing peut suffire à tuer.
D’autres n’ont pas eu autant de chance.
Comme Philippe Monguillot, chauffeur de bus tabassé à mort, comme Mélanie Lemée, gendarme fauchée par la voiture d’un criminel, comme Axelle Dorier, aide-soignante de 23 ans, traînée sur 800 mètres par la voiture de deux voyous, comme Thomas, 23 ans, poignardé à mort par un homme qui sortait de prison…
Chaque jour, les journaux sont plein de récits de passants agressés pour un téléphone portable ou une cigarette, de personnes tabassées parce qu’elles avaient protesté contre le bruit ou le non-respect des règles de la vie collective, de guet-apens tendus aux forces de l’ordre, aux pompiers… Et ce partout en France. Plus aucune portion du territoire n’est épargnée.
Chaque jour apporte son lot de preuves d’un ensauvagement en marche. Chaque jour des Français ordinaires se font massacrer par des voyous sûrs de leur impunité.
Depuis de longs mois, l’Institut pour la Justice avait alerté sur cette terrifiante montée de la violence, dans le silence des médias et l’indifférence de la classe politique.
Aujourd’hui, même le gouvernement est obligé de nous donner raison. Il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a admis qu’il fallait « stopper l’ensauvagement d’une partie de la société. »
Bien sûr, on peut-être très sceptique sur sa volonté d’agir. Ce ne serait pas la première fois que des actions molles succéderaient à des paroles fortes. Et aucune action des forces de l’ordre ne sera efficace tant que la justice ne suivra pas, en sanctionnant rapidement et sévèrement les auteurs de violence.
Or rien n’indique que la justice soit prête à sanctionner davantage. Et de toute façon, même si elle le voulait, le manque de places de prison l’en empêcherait.
Mais reconnaître la réalité est un préalable nécessaire pour la changer. Et les pouvoirs publics ne pourront bientôt plus nier la réalité de l’ensauvagement qui monte chaque jour.
Nous allons donc redoubler d’efforts pour que les actes suivent les paroles, pour que cesse l’impunité, pour que la violence ne gangrène plus notre vie quotidienne.
L’insécurité n’est pas une fatalité.
Avec tout mon dévouement,
Laurence Havel
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