L'un sème, l'autre moissonne.
Jean 4 : 34-37
« L’un sème » et se demande toujours ce qui poussera ou non, ce qui réussira ou non, s’il fait bien de semer ici ou là. Le semeur est comme celui de l’Évangile, il jette des graines mais elles tombent un peu partout.
Semer est un acte méticuleux, et qui demande du soin. Et celui qui sème le fait pour obtenir une bonne récolte. Le semeur est plein de rêves, il a des ambitions pour ce qu’il plante, il cherche la réussite et met, avec toute la bonne volonté du monde, toutes les chances de son côté, en étudiant le terrain, le moment propice et le temps qu’il fait. Pourtant, aucun semeur n’est à l’abri des vicissitudes de la météo, des maladies ou des accidents de parcours. Semer pour demain, c’est placer son espoir dans l’avenir, c’est souhaiter le meilleur pour ceux qui viendront après, c’est planter de l’espoir.
Mais semer ne donne aucune garantie quant à la récolte. Une averse de grêle, une gelée trop précoce, une sècheresse trop longue, une nuée de criquets, une maladie parasitaire et voici que le travail et la patience du semeur sont réduites à néant. Injuste ? Où est la justice quand rien ne dépend ni de Dieu ni des hommes ? Disons plutôt, inévitable malchance.
Quand, dans nos vies, nous semons des graines pour le futur, nous sommes toujours dans cette situation d’incertitude sur les chances de réussite. Nous mettons un enfant au monde, et même si nous lui donnons tous les soins dont il a besoin, nous ne pouvons dire ce qu’il deviendra et quelle sera sa vie. Ceux qui essaient d’assurer la conformité de leur désir avec la vie de leurs enfants ont très souvent des surprises ! Les changements de circonstances, les évolutions du monde, se chargent de changer le cours des choses et la vie des gens. Heureusement, on peut essayer d’éviter le pire en étant raisonnable et en prévoyant, mais on ne peut tout prévoir. L’un sème et il est contraint à la confiance et il est soumis au risque.
« L’autre moissonne » et reçoit ce que d’autres ont semé hier. Les héritages sont parfois lourds à porter et pas toujours à cause de l’échec des semeurs, d’ailleurs : qui pourrait juger de l’échec d’un semeur et de quel point de vue pourrait-on le faire, puisqu’il ne peut, de toute façon, pas tout maîtriser ?
Bien au contraire, l’héritage est d’autant plus lourd qu’il est extraordinaire. Comment se hisser au niveau de ceux qui ont semé avec tant d’effort et d’énergie et comment assumer l’œuvre colossale accomplie par nos prédécesseurs ? N’est-ce pas plus vertigineux de prendre la suite d’un créateur de génie que de relever une ruine ? Quand on relève une ruine, on ne peut pas faire pire. Quand on reçoit le fruit extraordinaire du travail de ceux qui ont œuvré avec brio avant nous, la pression est grande : il faudra être à la hauteur. Jésus dit à ses disciples : « moi je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a demandé aucun travail, d’autres ont travaillé, et vous, vous êtes arrivés pour recueillir le fruit de leur travail ». N’en va-t-il pas de même pour nous tous dans la foi ? Quand nous passons le pas de la porte de ce temple pour vivre ensemble un culte, ne sommes-nous pas les heureux bénéficiaires d’autres qui avant nous ont œuvré de siècle en siècle pour la gloire de Dieu ? N’est-ce pas en cette reconnaissance, toujours insuffisante car insondable, que nous éprouvons le vertige de nous tenir là où d’autres ont eu l’audace, le courage, l’espérance nécessaires pour faire d’un lieu de pierre un lieu de foi ? Comment mesurer cet effort de nos prédécesseurs ? Pourrait-on tirer un bilan de leurs efforts sans tomber dans le jugement hâtif et injuste à cause de notre aveuglement inévitable ?
La vie spirituelle est une sorte d’équation dont les deux termes inconnus ne seraient pas des quantités, mais des qualités. Le semeur sème sans connaitre ce que seront la liberté du cœur humain et les circonstances dans lesquelles il fera croître ce qu’il a reçu. Dès qu’il a semé, il abandonne ses semailles au temps et à l’avenir. Le moissonneur, lui, reçoit et récolte les fruits d’un témoignage dont il ne peut évaluer d’où il vient et ce qu’il aura fallu d’abnégation et de circonstances favorables ou non pour qu’ils adviennent.
L’un sème sans savoir qui moissonnera et l’autre moissonne sans savoir le don incommensurable du semeur.
« L’un sème », mais qui est-il ?
« L’autre moissonne », mais qui est-il ?
Le semeur dont parle le récit de Jean serait-il Jésus lui-même, répandant la Bonne Nouvelle du salut de Dieu dans la terre fertile du cœur humain ? Beaucoup de commentateurs de ce texte l’ont pensé. Mais alors, qu’en est-il des prophètes qui l’ont précédé et dont Jésus nous assure que pas un iota de leur parole ne doit être abrogé ? Jésus lui-même est un moissonneur qui, au moment où ce récit est raconté, vient de moissonner jusque dans le champ des Samaritains, puisqu’il vient de rencontrer la femme samaritaine qui confesse sa foi en lui.
Serions-nous, nous aussi, des semeurs puisque, à la suite du Christ, nous partageons ce témoignage avec nos contemporains, de génération en génération et que par nous se diffuse la bonne nouvelle du salut de Dieu qui révèle la part de divin en chaque homme ? Mais Jésus ne dit-il pas à ses disciples mêmes, qu’ils sont là pour la moisson pour laquelle ils n’ont pas travaillé ?
Il en est de ce récit comme de notre Église : Dieu sème et nous autres, hommes et femmes, chercheurs et chercheuses de Dieu, nous sommes appelés à moissonner. Non pas pour faire du chiffre et être évalués sur les rendements de notre moisson, mais pour « que le semeur et le moissonneur se réjouissent ensemble ». Pour accéder à cette joie profonde d’être entrés dans une œuvre qui, loin de nous rapporter, loin de nous gratifier nous-mêmes pour nos mérites, nous révèle l’éternité de Dieu, fruits d’une foi semée en nous par Dieu et moissonnés par d’autres croyants qui, un jour, nous ont ouvert les portes d’une église, d’un temple ou les pages d’une Bible, ou les bras de la consolation, ou la voie consolatrice de la prière.
« L’Un sème et son Église moissonne »
Aujourd’hui notre Église va élire des serviteurs de la Parole de Dieu qui vont prendre la suite de serviteurs qui, comme eux, avaient été discernés et élus pour conduire la moisson de l’Église. L’Église en tant qu’institution visible de la grâce invisible déposée en chacun de ceux qui poussent la porte de ce temple. Certains vont continuer ce service dans un nouveau mandat et aider à la réception d’un héritage qui pourrait sembler écrasant tant ce beau navire a d’atouts. D’autres vont servir par l’Entraide et prêcher l’Évangile en aidant les personnes en difficulté.
Un tel appel, une telle vocation serait effrayante si nous étions dans une obligation de résultat ou si nous étions les semeurs de la foi, si nous avions cette responsabilité.
Mais la fidélité de l’Église ne se mesure pas à ses résultats chiffrés. Comment pourrait-on évaluer notre réussite ? A l’affluence le dimanche matin ? Même s’il est très réjouissant de voir ce temple plein et les offrandes de reconnaissance affluer, nous savons tous que l’on peut remplir un lieu de culte avec des procédés accrocheurs et démagogiques qui n’ont rien à voir avec l’Évangile. Non, décidément, il est difficile de dire qu’on réussit en Église. Le seul critère pour dire qu’on est dans le vrai, c’est la fidélité, la probité, l’intégrité.
Mais nous n’avons pas le pouvoir sur cette foi semée en chacun de ceux qui poussent la porte du temple. Notre travail à nous n’est pas de provoquer ce que Dieu seul peut faire, notre travail à nous, c’est de moissonner le champ que Dieu ensemence et donc d’accueillir ceux qui viennent nous rejoindre poussés par une foi qui n’est pas de notre fait et aider chacun à transformer cette foi en parcelle de royaume dans ce monde.
Alors, me direz-vous, il suffit d’ouvrir grandes les portes et d’attendre ? Sans doute pas, car le but de notre engagement à tous, que nous soyons paroissiens, bénévoles, conseillers presbytéraux, diacres à l’entraide, ou pasteurs, c’est d’accueillir l’Église que Dieu crée sans cesse pour que le semeur et le moissonneur se réjouissent ensemble. C’est à dire créer cette compression du temps que nous décrit l’Évangile de Jean, ce temps divin où le temps des semailles rejoint celui de la moisson, où le semeur se réjouit avec les moissonneurs. Et ce n’est pas une mince affaire que de créer les conditions nécessaires à l’existence de ce temps divin entre des hommes et des femmes que rien ne rassemble a priori et qui sont pourtant venus poussés par la même foi semée en leur cœur.
La moisson du Seigneur n’est pas l’occasion d’un bilan de la réussite des semailles que nous aurions faites, mais la reconnaissance rendue à Dieu pour les merveilles qu’il a fait naître en chacun et que l’Église, en bonne moissonneuse, révèle par son témoignage.
« Dieu sème et nous, nous moissonnons »
Alors, vous tous qui avez servi dans le champ du Seigneur, depuis très longtemps, avec constance, patience, espérance et foi, et vous tous qui allez entrer dans ce service avec l’élan et le tremblement des novices, vous êtes, tous ensemble, les moissonneurs d’un champ que Dieu vous confie et vous n’avez rien à craindre, car c’est lui qui a semé.
Elle n’arrive pas à la fin, cette moisson, quand les talents de tous sont arrivés à maturité, « dans quatre mois » comme dit le récit, comme s’il fallait attendre que nous soyons tous à l’image de Dieu. Cette moisson arrive maintenant, chaque jour, à chaque heure. Les semailles et la moisson sont donc dans la même éternité. Le semeur continue sans cesse à semer dans le cœur de beaucoup qui attendent encore de trouver des frères et sœurs qui les accueillent pour qu’ils deviennent à leur tour moissonneurs. Nous ne manquerons donc jamais de travail et nous avons besoin de tous.
Ce n’est pas une chaîne de semeurs à moissonneurs que nous vivons aujourd’hui. Cette élection n’est pas le remplacement des semeurs d’hier par les semeurs d’aujourd’hui. Ce n’est pas une passation de pouvoirs humains. C’est un passage de témoins entre moissonneurs, entre serviteurs dans le champ du Seigneur ; c’est une fête des moissons qui réjouit le semeur.
« Dieu nous aime, alors, moissonnons, moissonnons ensemble au service de Dieu dans la reconnaissance et la joie ».
AMEN.