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Prédication

            Nous sommes ici dans un lieu qui peut être appelé : Oratoire, temple, église, maison de prière, maison de Dieu. Tous ces mots sont adaptés, et tous portent en eux une nuance qui révèle, pour ce lieu, un usage particulier. Car, en ces journées européennes du patrimoine, dont le thème est « éducation et patrimoine: apprendre pour la vie », il faut avoir le courage de se demander : à quoi sert l’Église dans notre apprentissage de la vie ? 
            Le premier problème est de savoir de quoi l’on parle quand on parle d’église. Une église est à la fois une assemblée d’hommes, de femmes et d’enfants qui se réunissent, soit physiquement dans un même lieu, soit virtuellement dans un même moment, dans un même rendez-vous de l’ordre de l’évènement. C’est alors l’assemblée qui est l’évènement « Église ». Mais l’Église, c’est aussi une institution, faite de traditions transmises, d’histoires racontées, de textes communs, de tout un patrimoine immatériel qui, lorsqu’il est partagé, crée une communauté vivante se rattachant aux mêmes repères. L’Église, c’est aussi un clergé, qui, dans certaines confessions, exerce un magistère et organise la communauté selon un droit particulier. Dans le protestantisme, bien que nous soyons « tous prêtres », une certaine autorité est consentie par des mandats limités dans le temps et conditionnés à des compétences particulières à des membres de la communauté, toutes les fonctions n’étant pas possibles en même temps pour tous. 
            L’Église est aussi le corps du Christ, cette entité spirituelle qui nous rappelle que nous sommes tous interdépendants dans la foi et que le Christ est le seul chef de l’église, à savoir sa tête, celui qui la dirige telle que Dieu la crée. Car c’est Dieu qui crée l’église en appelant chacun, par sa foi, ses questionnements et ses curiosités à rejoindre l’assemblée des fidèles.
            Dans ces conditions, que nous apprend une église pour notre vie ?
            Le sanctuaire des Israélites qui étaient nomades dans le désert était d’abord une tente appelée tente de la Rencontre. Et c’est cette notion de rencontre avec Dieu qui a parcouru les âges jusqu’à nos jours pour justifier l’existence de lieux de culte.  Dans le livre des Nombres, on peut lire : « Lorsque Moïse entrait dans la tente de la Rencontre pour parler avec Dieu, il entendait la voix qui lui parlait d’au-dessus de l’expiatoire placé sur le coffre du Témoignage, d’entre les deux kéroubim (chérubins). Et il lui parlait ». (Nb 7, 89) Évidemment, on peut parler à Dieu et entendre sa voix ailleurs que dans un édifice religieux, mais l’image de cette tente, itinérante avec le peuple, nous fait comprendre que cet espace circonscrit au milieu de l’espace profane est ainsi rendu sacré. Même si Dieu est omniprésent dans l’imaginaire des croyants d’autrefois comme dans celui d’aujourd’hui, il reste nécessaire de ménager un espace, pour le rencontrer. On peut rencontrer par hasard un ami n’importe où, mais l’espace que l’on choisit pour lui donner rendez-vous participe de la qualité de la rencontre. C’est pourquoi l’esthétique des lieux de cultes est si importante. Dans la sobriété comme dans l’opulence, la beauté participe de la Rencontre, et lui donne une teneur particulière.
            Les lieux sacrés nous apprennent la valeur d’une rencontre, le prix inestimable de celui avec qui l’on parle. Quand Salomon construit le temple de Jérusalem, il emploie les plus beaux matériaux, les plus rares, les plus précieux, pour signifier le caractère exceptionnel de la relation qu’il entretient avec Dieu. Dans sa prière, au jour de la consécration du temple à Dieu, Salomon dit : « ce que tu avais dit de ta bouche, tu l’as accompli de ta main, voilà pourquoi il en est ainsi en ce jour » (I R 8, 24). Salomon construit donc le temple à cause d’une Parole donnée, d’une alliance que Dieu a respectée et que Salomon respectera lui aussi pour conserver cette relation entre son peuple et lui. Dans sa prière, Salomon fait mémoire de cette longue relation de confiance entre David, son père et le Dieu qui l’a choisi.
            Le temple, l’église, le lieu de culte, nous apprennent la fidélité à nos engagements. Dans cet espace réservé au sacré, c’est une histoire particulière qui constitue le matériau de construction du lieu de culte : l’histoire d’une relation de foi entre l’homme et Dieu, entre Dieu et les hommes. Salomon croit à un Dieu qui donne la paix ; il prendra le prétexte de la construction du temple pour commercer avec tous ces voisins et ainsi leur acheter les matériaux dont il a besoin. Créant ainsi des alliances grâce au temple du Dieu de l’alliance.
            Le roi Salomon sait aussi que ce lieu est un lieu emblématique de son règne, et il en fera la vitrine de sa politique diplomatique.
            Les édifices religieux ont toujours à voir avec l’exercice du pouvoir et, en cela, ils nous apprennent le jeu de forces qui s’exercent entre les hommes ; et leur architecture même enseigne une certaine idée de l’organisation politique.
            Ici, nous sommes dans un Oratoire, dont la raison d’être transparaît partout. Apparenté à un vaisseau, à cause de ses couloirs latéraux qu’on appelle volontiers des coursives, l’Oratoire du Louvre est l’expression d’une lutte, mais pas une bataille navale, une lutte d’idées.
            Voulu par la royauté pour être l’arme intellectuelle susceptible de combattre les idées de la Réforme sur son terrain, c’est-à-dire celui de la parole, ce lieu fut pensé comme la caisse de résonance du catholicisme de la contre-réforme. Orienté vers le Louvre et non vers Jérusalem, pensé pour célébrer la messe et prêcher une certaine théologie, cette chapelle royale avait tout d’un écrin précieux pour accueillir ce qui se faisait de meilleur en théologie catholique. La Société de l’Oratoire de Jésus, fondé par le futur cardinal de Bérulle dans la tradition de Philippe de Néri, a marqué ce lieu d’une empreinte indélébile, et aujourd’hui encore, au-delà des ironies de l’histoire qui ont fait qu’un empereur corse a affecté ce lieu de la contre-réforme au culte protestant,  nous continuons, nous aussi, à rendre gloire à Dieu avant tout par l’art oratoire.
            Tout ici est pensé pour la parole, du plafond en berceaux qui renvoient la voie humaine à tous les auditeurs, aux colonnes à l’antique qui nous rappellent le goût du baroque pour l’Antiquité et le travail intellectuel de celui qu’on surnomme le Platon chrétien: Nicolas Malebranche. Pierre Bayle, le philosophe et historien protestant, contemporain de Malebranche, écrit à propos de son œuvre : « un ouvrage d’un génie supérieur, et l’un des plus grands efforts de l’esprit humain ». Cité par Marie-Frédérique Pellegrin, « Le XVIIe siècle », in D. Huisman (dir.), Histoire de la philosophie française, Paris, Perrin, 2002, p. 230.
            Nous sommes donc dans un lieu où les efforts de l’esprit humain sont sollicités. Mais est-ce le rôle de l’Église d’être un lieu de réflexion ?
            Que peuvent nous apprendre pour notre vie, les controverses entre les oratoriens et les jésuites ? Les écrits des Pères de l’Église ou les traités de langues anciennes ? Pourquoi ne pas se contenter d’une foi intuitive ? Ne pourrait-on pas prier Dieu et faire la charité aux plus démunis, sans plus se soucier des discours théoriques de la théologie ?
            Nous sommes ici dans un temple protestant, où la théologie libérale a fait un travail de réflexion propre à édifier des vies d’hommes, de femmes et d’enfants capables d’aimer Dieu tout en aimant leur prochain, et même d’aimer leur prochain pour signifier leur amour de Dieu. Tout ce que je viens de dire sur les commandements semble tout à fait évident pour n’importe quel chrétien. Pourtant, cette articulation entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain a pris des formes tellement diverses à travers l’histoire, qu’on a pu ériger des bûchers au nom de ces deux commandements. Leur articulation n’est donc pas si aisée à construire, et seuls les efforts de l’esprit humain peuvent y parvenir. Mais il ne s’agit pas ici des efforts qui visent à construire des systèmes de pouvoir de l’Église pour tenir une population sous son règne. Il s’agit plutôt des efforts qui visent à armer le croyant de connaissances et d’arguments qui fassent de lui un lecteur libre de la Bible, capable de penser par lui-même. Et le libéralisme, avec sa méthode de lecture historico-critique des textes, mais aussi poétique, ou encore mystique, des textes, ouvre devant le lecteur une possibilité infinie d’interprétations, toutes étayées par des observations et des critiques rationnelles. Et qui se pose des questions sur sa Bible, s’en posera sur sa vie. Dans une vie d’Église, on apprend donc à lire la Bible et à réfléchir sur la vie.
            Il est donc d’une nécessité absolue d’avoir des lieux et des temps « sanctuarisés » pour réfléchir ensemble à cette relation de l’homme à Dieu, et par conséquent, aux relations des humains entre eux. Les Église servent à cela aussi.
            Le Christ n’a-t-il pas placé au cœur de son ministère la mise en question de cette relation de l’homme à son Dieu ? Jésus est attendu par ses disciples comme enseignant et même quand il se met à prier son Dieu devant eux, dans cette pratique qui pourrait pourtant sembler tout à fait spontanée, les disciples lui demandent de leur apprendre à prier. Preuve qu’il faut avoir réfléchi à la pratique de la prière pour s’y adonner et en être édifié.
            Les disciples veulent que Jésus leur apprenne à prier comme Jean a appris à le faire à ses disciples. Ils savent que l’enseignement fait le disciple, et que prier comme le maître, c’est déjà penser comme lui.
            Nous sommes, ici, dans une maison de prière, et l’on peut se demander à quoi peut bien servir la prière.
            Dans le texte de l’Évangile de Luc, Jésus commence par apprendre aux disciples les demandes qu’ils peuvent formuler quand ils prient Dieu. Il reprend, conforme à sa tradition de foi, le kaddish : Magnifié et sanctifié soit le grand nom, dans le monde qu’il a créé selon sa volonté et puisse-t-il établir son royaume. Puis il parle de la subsistance quotidienne, du péché et de l’épreuve.
            La prière du Notre Père, l’oraison dominicale, est immédiatement suivie dans l’Évangile de Luc par une expérience de pensée dont Jésus a le secret quand il enseigne. Et cette expérience de pensée nous met dans le rôle de celui qui prie son voisin de lui donner du pain pour un visiteur qui arrive à l’improviste.
            Jésus nous parle ici de l’opiniâtreté de celui qui prie. Il apprend à ses disciples la transformation que produit la prière dans le cœur de l’homme. Prier Dieu, c’est apprendre à demander l’impossible, le peu probable et c’est donc apprendre à déplacer les convenances et l’ordre établi. L’opiniâtre qui frappe à la porte, vient déranger en pleine nuit son voisin, il fait ce qui ne se fait pas d’ordinaire, il fait entrer l’extraordinaire dans l’ordinaire. N’est-ce pas ce que fait la prière ? Elle fait entrer le divin, l’éternel, l’infini, dans notre vie profane, mortelle et limitée.
            Oser prier, c’est oser déplacer les montagnes pour qu’un passage se fasse là où tout semblait impossible. C’est miser sur l’hospitalité de Dieu pour notre questionnement, et donc commencer à admettre que les choses sont peut-être, au bout du compte, possibles.
            L’église nous apprend à espérer dans la vie. Et ce n’est pas un détail insignifiant. Par son activité d’oraison, par la place centrale qu’y tient la Parole, notre église est un lieu de formation à l’espérance. Chacun y apprendra que, en face de mots opaques, de difficultés de compréhension, il y a un travail de la raison toujours possible, qui ouvre de nouvelles voies pour nos vies et que, avec les autres, ceux qui vivent en église avec nous, il est toujours possible de demander. Et ainsi, la vie en communauté nous apprend l’entraide et la solidarité, et aussi à ne pas avoir honte de demander ce que nous-mêmes nous ne pouvons faire seuls. L’Église nous apprend l’humilité.
            Celui qui écoute une parole et tente de la faire sienne, par-delà les siècles, par-delà les éléments inconnus qui la composent, par un effort de l'esprit humain, comprend que, partout dans sa vie, il pourra faire de même. Que les découvertes faites dans une parabole de Jésus ou dans un psaume de David, édifient son rapport aux autres et à Dieu. Que les mots ont une puissance propre et qu’en énonçant un problème, on est déjà en chemin pour résoudre le problème. Parce que nous sommes dans une religion de la parole créatrice, qui sépare pour sortir du chaos, qui éclaire ce qui était confus.
            Ici, nous sommes aussi dans la maison de Dieu, dans la maison de celui qui nous apprend à faire de nos vies le temple du Seigneur. Un temple pour ce qu’il nous a donné de meilleur : la Parole. Celle qui imagine, celle qui pense, celle qui accueille, celle qui nous rend humains. Alors, oui, ici, on apprend la vie avec un Dieu qui en élargit l’horizon.
 

                                                           AMEN.

Jeu d'Orgue 

Cantique : Louange et Prière n°170 « Viens habiter dans non âmes », les 3 premières strophes de ce cantique.

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